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Du 12 au 21 avril 2012
Penny Plain
De Ronnie Burkett

Penny Plain est aveugle mais ça ne l’empêche pas d’en savoir bien assez long sur la situation actuelle et le sort de l’humanité. Quand son fidèle chien Geoffrey l'a laissé tomber pour vivre dans la peau d’un homme, Penny s’assied et attend la fin du monde. Mais son attente est interrompue par des survivalistes, un tueur en série, un banquier travesti, des chiens parlants et de mystérieux étrangers qui cherchent un refuge. Entre le thriller gothique et la comédie de mœurs apocalyptique, Penny Plain montre les effets terrifiants et comiques qui s’enchaînent quand notre mère la Terre reprend le terrain cédé.


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Cinquième salle : Prix 30 ans et moins : 24,58 $ (présentation d’une preuve d’âge exigée à l’entrée)

Création du Ronnie Burkett Theatre of Marionnettes


Cinquième Salle de la Place des Arts
175, rue Ste-Catherine Ouest
Billetterie : 514 842-2112 ou sans frais au 1 866 842-2112

 
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 Critique
Critique

par David Lefebvre


Crédit photo : Trudie Lee

Ronnie Burkett est de retour à Montréal, après des passages remarqués en 2007 avec 10 Days On Earth, conte sur la solitude et l’importance de la famille, et, plus récemment, en 2010, avec Billy Twinkle, Requiem for A Golden Boy, une savoureuse biographie fictive. Cette fois-ci, Burkett met en scène l’apocalypse et la fin du monde, mais de façon à la fois intime et fantaisiste. Inspiré par une entrevue de David Suzuki, il réfléchit sur ce monde qui peut imploser à tout moment, si l’homme continue sa course arrogante et folle sans changer ses plans.

Il y a d’abord cette vieille dame, Penny Plain, qui, même si elle est atteinte de cécité depuis un choc traumatique subi à l’enfance, n’en voit pas moins le monde tel qu’il est. Elle en attend patiemment l’épilogue en écoutant les nouvelles à la télé, assise dans son fauteuil. Son plus fidèle compagnon, Geoffrey, un chien doté de la parole qui désire devenir un gentilhomme, lui dit au revoir pour s’aventurer à l’extérieur et découvrir cet univers par lui-même. Pour le remplacer, passent sur sa chaise un Chihuahua au sang chaud, un Poodle plutôt égocentrique et une jeune orpheline abandonnée. Dans cette maison de chambres, autour de la vieille dame, gravitent d’autres personnages plus ou moins stéréotypés : un banquier qui décide (enfin) de porter une robe, une pensionnaire qui perd la tête et sa fille/monstre Jubilee, éditrice sanguinaire qui se prend pour Jeanne d’Arc et qui recherche le silence de façon obsessive. Apparaitront aussi un couple d’Américains réfugié, Mel et Barbie, ainsi qu’Evelyn, une jeune femme qui ne désire qu’une chose : un enfant à aimer. Pour se faire, elle demandera à Geppetto, autre résident de la maison, de lui fabriquer une marionnette magique, comme il l’avait fait il y a plusieurs années. Mais le vieil homme ne veut pas répéter son erreur « Pinocchio », ce fils sans fil, donc sans attache, qui ne reste pas en place. Celui-ci reviendra pourtant, retrouvant son père, mais non sans heurts. Les deux hommes finiront par se pardonner l’un l’autre, dans une attendrissante étreinte.

Ponctué d’annonces médiatiques plus ou moins sérieuses à propos de populations décimées, d’Islande immergée, de coupures d’eau, de rassemblements de gais et lesbiennes contre la grippe, de services coupés et autres catastrophes, lues par de véritables chefs d’antenne, notamment de la CBC et de Fashion TV, Ronnie Burkett explore, avec Penny Plain, l’amitié, l’effronterie, les différentes transformations en temps de crise, les dernières chances, la liberté, le pardon, l’acceptation et la nature qui reprend ses droits. Sans être une fable écologique, cette comédie noire, aux clins d’œil historiques, évoque avec sensibilité la fin d’une humanité inconséquente.

Nous retrouvons avec plaisir l’humour absurde de Burkett au travers ces destins croisés et d’exquises répliques au débit d’une rapidité fulgurante, mais qui touchent toujours la cible. Le fabuleux décor, de style art déco, en vitraux et fer forgé, s’avère être la grande maison de Penny Plain, que la nature envahit de l’intérieur dès qu’un pensionnaire quitte les lieux. Au fur et à mesure que le temps avance, la verdure pousse ici, des fleurs, là. Malgré son allure compacte, la scénographie est tout de même imposante et propose deux étages ; la majorité de l’action se déroule au rez-de-chaussée, alors que le marionnettiste circule et joue au deuxième niveau, à partir d’une rampe-balcon plongée dans le noir. Burkett fait la démonstration encore une fois de son talent extraordinaire de manipulateur : les magnifiques marionnettes, une trentaine en tout, aux visages de poupée – un travail d’une grande finesse– bougent de façon si fluide, si naturelle, qu’on ne voit plus les fils qui les dirigent. Qu’ils s’assoient avec grâce, lèvent simplement une main ou marchent, ces pantins prennent vie, littéralement. Une seule fois le virtuose apparaitra sous les projecteurs, lors d’une scène flashback très touchante, manipulant deux marionnettes à gaine à l’effigie d’un chien et d’une toute jeune Penny.

Si la trame musicale semble, pour certains, un peu forte, aux finales abruptes, elle sert néanmoins très bien le récit. Les éclairages, savamment orchestrés, viennent mettre en lumière l’action, isoler un personnage, ou offrir en fond de scène de superbes couchers de soleil aux nuages rosés et gris.

La compagnie Theatre of Marionnettes célèbre ses 25 ans avec ce spectacle qui termine sa tournée à Montréal, tournée pancanadienne commencée au mois de septembre dernier, à Edmonton. Aussi terrible que drôle, Penny Plain est possiblement le spectacle offrant les plus grands défis à son concepteur depuis ses débuts, principalement au plan technique, qu’il relève avec brio. Parfois satirique, d’une redoutable intelligence, mais aussi doux-amer, Penny Plain frôle la perfection.

13-04-2012