Après avoir sondé l’identité féminine et ses tabous avec son spectacle CHAIR en 2011, la chorégraphe Aurélie Pedron poursuit son exploration des polarités dans Corps caverneux et réunit trois interprètes masculins d’âges différents : Félix Beaulieu-Duchesneau, Daniel Soulières et Lael Stellick. Unique, chacun peut également représenter une strate d’une même entité, éclairée ou tamisée grâce à une manipulation de lampes au sol et d’objets lumineux. Des accessoires occupent la scène : structure d’accordéon, gros tuyaux industriels, landau, bassine, et offrent de multiples possibilités sonores et lumineuses. C’est au contact des divers matériaux – détournés de leur usage habituel – que les corps de ces hommes se révèlent et s’expriment, que le mouvement déploie sa poésie visuelle et sensorielle.
Avec son double regard de vidéaste et de chorégraphe, Aurélie Pedron travaille le détail de l’image dans cette mise en scène à la fois foisonnante d’objets et minimale du geste. Les lumières sont ici le cadre du mouvement et sa source même ; les ombres, son dédoublement et sa projection. Au son de compositions musicales signées Laurent Aglat, la chorégraphe creuse ces zones de clair-obscur : affirmation de soi, rapport à l’enfance, sensualité, solitude, violence sourde, ambivalence entre la puissance et la fragilité… comme autant de fragments ou d’échos possibles à cette fouille dans les replis de ces corps caverneux.
Aurélie Pedron / Lilith & Cie
Depuis neuf ans, Aurélie Pedron crée du mouvement pour l’écran et la scène. Elle a réalisé plus de 10 oeuvres vidéo diffusées
dans 14 pays à travers le monde. Sur scène, elle oriente sa recherche des états de corps à travers la relation avec les
matériaux. Son travail a été présenté à Tangente, au Studio 303, à la SAT, aux Ateliers Jean-Brillant et au Blinding Light à
Vancouver. En 2011, avec CHAIR, elle conjugue, par le biais du circuit fermé, la scène et la vidéo. Elle collabore en outre avec
la compagnie de théâtre Odelah Créations. En 2012, Aurélie Pedron fonde sa compagnie de création, Lilith & Cie.
Section vidéo
une vidéo disponible
Création de
la sculpture d’accordéon Jeremy Gordaneer
Structure scénographique Marilène Bastien
Conception des lumières
Aurélie Pedron avec la précieuse collaboration de Marc Parent
Accessoires Marc-André Labelle
Musique Laurent
Aglat
Conseillère artistique Indiana Escach
Répétitrices Sarah Dell’Ava et Annie Gagnon
Causerie animée par Dena Davida : le vendredi 1er février après le spectacle
Une présentation de Danse-Cité et de Tangente – Laboratoire de mouvements contemporains. Une production de Danse-Cité en collaboration avec Lilith
& Cie. Résidences de création et de production : Circuit-Est centre chorégraphique, le Département de danse de l’UQAM et le Bain Mathieu
par Véronique Voyer
Corps d’hommes et clair-obscur
Corps caverneux s’ouvre dans une atmosphère digne d’un film d’horreur : une musique tonitruante se précipite hors des haut-parleurs faisant sursauter le public. Sur scène, trois hommes sont tapis dans l’ombre d’une diagonale lumineuse.
Au centre, c’est le plus vieux des trois qui reçoit presque toute la lumière. Glissée dans un chapeau de paille, une lampe illumine son visage par en dessous, ce qui rappelle l’éclairage typique du Blair Witch Project. En sous-vêtement, il grommèle accroupi dans une bassine métallique. À l’avant-scène, le plus jeune danseur remue une poussette avec son pied. La lumière jaillit également de l’accessoire sans toutefois éclairer le danseur qui est étendu par terre. À l’arrière, on dénote à peine la présence du troisième interprète qui n’est pas encore sous les feux des projecteurs. Utilisée avec parcimonie, la lumière délimite la scène et encadre le geste, ce qui permet de découvrir tout doucement qui se situe où et comment.
Les ombres savamment utilisées font partie de la chorégraphie au point d’être considérées comme un quatrième danseur. Elle trace au sol les mouvements fluides que les trois hommes perpétuent avec des accessoires aussi hétéroclites qu’une structure d’accordéon ou de gros tuyaux industriels. Le résultat impressionne, car les images lumineuses et le sens qui s’y rattache sont multipliés par la composante sonore. Ainsi, l’accordéon produit une musique rythmée par les pas du danseur en apesanteur par ce sac à dos volant. D’accord, il vole à l’aide d’un harnais, mais l’illusion porte à confusion grâce à la noirceur et aux multiples câbles qui vont de la scène au plafond.
Ce trio offre une perspective intéressante sur la vie interne de l’homme. Précisons que le titre, Corps caverneux, réfère à l’anatomie génitale masculine ; c’est d’ailleurs grâce au corps caverneux que l’érection se produit. Les émotions des hommes sont au cœur de cette chorégraphie qui se déploie sur les thèmes suivants : virilité, confiance en soi, enfance, violence, solitude, etc. Entre puissance et fragilité, les tuyaux métalliques deviennent des fouets dans un combat après avoir représenté le sexe impuissant de deux danseurs qui échappent une extrémité au sol tout en cramponnant la base du tuyau sur leur taille.
Entre l’art visuel et la danse contemporaine, cette pièce s’ouvre sur une multitude de questionnements liés à l’identité de l’homme sans toutefois suggérer de réponses. Pourtant, les sensations qui s’en dégagent sont tout à fait claires, la peur véhiculée par la musique dès l’ouverture de la pièce en est un exemple flagrant. Cette chorégraphie révèle trois corps, mille appréhensions et les doutes qui se glissent dans le clair-obscur, entre l’art et la lumière.