Après Field (Land is the belly of man) proposée au MAI en 2004, Alvin Erasga Tolentino nous revient avec un deuxième solo présenté en première montréalaise. Véritable épopée multisensorielle, l’œuvre de danse-théâtre Colonial jette un pont entre le passé colonisé d’un peuple et son ethnicité contemporaine.
Inspiré du livre Pasyon and Revolution: Popular Movements in the Philippines, 1840-1910 de Reynaldo Clemena Ileto, Colonial est également une adaptation libre et fantaisiste de l’histoire des Philippines revisitée par l’imprévisible et fascinant chorégraphe Alvin Erasga Tolentino. Combattants révolutionnaires et prêtresses babaylanes peuplent ce nouveau territoire de création. Mis en scène par Dennis Gupa, Colonial est une production multimédia appuyée par les saisissantes projections vidéographiques réalisées par Jon Lasam.
Vétéran de la scène internationale, Alvin Erasga Tolentino est également fondateur et directeur de la compagnie CO.ERASGA Dance. Acclamées sur tous les continents, ses performances hybrides explorent la culture asiatique et les enjeux identitaires de la société contemporaine occidentale. Fondée en 2000, CO.ERASGA Dance compte une dizaine d’œuvres à son répertoire dont Expose (2011), Shadow Machine (2010) et She Said (2004). Outre ses créations scéniques, Tolentino a conçu cinq films et vidéos de danse, dont SOLA, récipiendaire en 2002 du « Grand Prix Vidéo » de la Compétition internationale de l’Unesco. Né à Manille, aux Philippines, Alvin Erasga Tolentino réside à Vancouver depuis 1983.
Photo Jerome Bonto
22$ Régulier - 18$ Réduit (Professionnels des arts - Aînés 65 et + - Carte Accès Montréal) - 15$ Étudiant - 14$ Groupes (10+)
par Sara Fauteux
Colonisé par les Espagnols à partir de 1565, puis vendu aux Américains en 1898, les Philippines ne retrouvent leur indépendance qu’après plus de trois siècles de colonialisme et d’invasion culturelle. Farouchement christianisés par l’envahisseur espagnol et aliénés culturellement par la présence américaine, les Philippins, autant ceux qui demeurent aux Philippines que ceux qui ont émigré, se retrouvent nécessairement devant un problème identitaire. C’est cette problématique actuelle et l’histoire du pays qu’aborde le spectacle Colonial du danseur Alvin Erasga Tolentino et du metteur en scène Dennis Gupa, tous les deux Philippins d’origine.
Colonial se décline en trois moments. Le spectacle s’ouvre sur une chorégraphie s’inspirant des danses autochtones du pays. Dans un deuxième tableau, le danseur évolue vers une chorégraphie et un style plus proche de la danse contemporaine. Finalement, la représentation se termine sur une danse très introspective et le spectacle se clôt dans une atmosphère de recueillement. Ces trois ambiances très distinctes sont définies par le style de danse, mais aussi par la musique de Marie Angelica Armecin Dayao qui occupe une place prédominante dans Colonial. Les rythmes tantôt tribaux, tantôt plus actuels avec une musique au piano, et puis presque méditatifs, envahissent l’espace scénique. L’interprète est-il aliéné et dominé par la musique comme il l’est par les rituels et la culture qu’on lui a imposés?
Les différents tableaux sont également accompagnés et entrecoupés par des images vidéo projetées sur deux écrans en angle qui sont la toile de fond de toute la scène. On y présente le travail de l’artiste vidéo Jon Lazam ; des images abstraites, des paysages et des symboles évoquant le passé colonial espagnol et américain des Philippines, mais aussi des témoignages de citoyens philippins sur leur expérience personnelle. Ces vidéos proposent également des extraits des créateurs du spectacle s’exprimant sur leurs intentions et parlant brièvement des costumes, de la chorégraphie et de leur rapport à la colonisation que leur pays a subie durant plusieurs siècles.
Pour le danseur Alvin Erasga Tolentino, ce spectacle est important et marque un tournant dans son parcours, non seulement parce qu’il y approfondit des questions qui ont traversé son œuvre, mais aussi parce qu’il collabore sur Colonial avec différents artistes contemporains des Philippines. Ce travail avec un artiste vidéo, une musicienne et un metteur en scène marque effectivement l’œuvre d’une certaine complexité qui étoffe la réflexion menée dans le spectacle. Malheureusement, même avec toutes ces couches et ces outils, Colonial ne parvient pas à atteindre réellement le spectateur.
S’il soulève des questions intéressantes sur la colonisation et les traces que cette invasion laisse dans une société encore aujourd’hui, le spectacle ne nous touche pas au-delà du processus d’intellectualisation que permettent et stimulent les images vidéos, la musique et la structure du spectacle. Pour nous parler d’une réalité très personnelle et très actuelle, l’artiste utilise un langage qui reste plaqué et dont l’émotion n’émane pas. En ce sens, la deuxième partie du spectacle est définitivement la plus réussie. Dès qu’il adopte un style de danse plus contemporain, Tolentino nous touche davantage en nous donnant accès à quelque chose de beaucoup plus personnel qu’on cherche en vain dans le reste de sa proposition. Dommage.