Leurs parents adoptifs emportés par un ouragan, Rock, William et Fred-Gilles sont restés, envers et contre tous, dans leur maison-cocon, terrée au fond des bois, et y accueillent la douleur muette de leur soeur Noéma qu’ils tentent de ramener à la vie. Contre les assauts des municipiens, ils demeurent soudés, unis en «Société d’Amour», autour d'un objet presque mythique, le Dire-Dire.
Dans cette oeuvre hautement poétique, mais pourtant ancrée dans une terre d’où naissent les émotions les plus viscérales et torrentielles, Daniel Danis nous présente trois êtres touchants, lucides, pures, aimants mais pas toujours commodes, et creuse entre autres le thème des liens familiaux, celui de l’amour au-delà des liens du sang, de la marginalité, et du pouvoir étrange et surprenant que peuvent avoir les mots. Avec Le Chant du Dire-Dire, Danis devient le premier dramaturge canadien à obtenir, pour une troisième fois, le Prix du Gouverneur Général du Canada. Ses pièces, traduites en plusieurs langues, sont présentées un peu partout sur le globe, en Amérique du Nord comme en Europe. Toujours actif et prolifque, il est aujourd’hui l’un des dramaturges québécois les plus joués à l’étranger.
Scénographie et costumes. Cédric Lord
Conception musicale. Alexis Raynault
Gallimard est éditeur du texte représenté.
Cartes Prem1ères
Date Premières : du 26 septembre au 3 octobre
Régulier : 25$
Carte premières : 12,50$
Une production Théâtre le Mimésis
par Olivier Dumas
Depuis sa fondation, la troupe du Mimésis aime les expériences singulières et casse-gueule. Après une relecture réussie du Chemin des Passes-Dangereuses de Michel-Marc Bouchard, elle revient à la charge avec le Chant du Dire-Dire, une production risquée et imparfaite, mais engageante.
Écrite dans les années 1990 par le prolifique Daniel Danis (Terre Océane, Cendres de cailloux), la pièce raconte l’histoire de trois frères, Roch, William et Fred-Gilles, qui vivent dans une cabane après la mort de leurs parents adoptifs un soir d’orage. Les protagonistes ont hérité d’un objet insolite : une sorte de cornet en cuivre où à tour de rôle chacun des membres de la petite tribu crache ses douleurs et espoirs. Ils refusent toute autre présence humaine dans leur univers qualifié par eux de «société d’amour». Partie conquérir le monde comme chanteuse, leur sœur Noéma revient dans un état de coma végétatif. Elle ne bouge plus, ne parle plus. Pendant 90 minutes, ses trois frangins tenteront l’impossible pour la ramener à la vie.
D’une trame narrative qui aurait certainement plu à Tennessee Williams, le dramaturge québécois a brodé une écriture métaphorique à la langue oscillant entre la poésie lyrique et certaines tournures quotidiennes. S’exprimant parfois à la première personne, parfois à la troisième personne, les personnages racontent l’histoire en étant à la fois plongés dans leurs drames sordides et extérieurs aux actions décrites. Le public se retrouve davantage dans un théâtre du récit qu’un théâtre du mimétisme. Il s’agit d’une œuvre costaude et riche de sens et de lectures possibles, susceptible d’en rebuter certains par sa densité.
Pour porter cette parole haut et fort dans le chœur de l’église de l’Immaculée-Conception, située au coin des rues Papineau et Rachel, les trois interprètes masculins relèvent brillamment le défi. Guillaume Regaudie, Louis-Philippe Tremblay et Yves-Antoine Rivest sont à la fois très justes et très imprégnés de leurs rôles de trois hommes blessés vivant en autarcie dans un cocon qui prend au fur et à mesure des allures de prisons intellectuelles et socioaffectives. En grande partie, le succès de cette aventure inusitée leur revient.
La volonté de la jeune compagnie de sortir des lieux traditionnels théâtraux demeure intéressante et intrigante. Le choix d’une église pour nourrir un texte aux accents symboliques et apporter à une dimension sacrée à leur démarche se défend bien. Par contre, un lieu aussi grand empêche le propos d’atteindre son plein potentiel dramatique. Les voix des acteurs se perdent à l’occasion dans l’écho, alors que certaines répliques exigent une sorte de chuchotement plutôt que la déclamation produite par les circonstances. Les premières scènes souffrent légèrement de ce débalancement, mais les choses se réajustent par la suite. Certains passages se démarquent par leur harmonie entre intensité et recueillement. La présence de la musique d’orgue, composée par Alexis Raynault et interprétée par Christophe Gauthier, apporte une dimension grave et sensible au propos inutilement ampoulé par moment.
Comédien à la feuille de route remarquable, Marc Béland s’illustre également ces dernières années par ses mises en scène rigoureuses qui n’hésitent pas à rendre éclairantes des pièces sombres et complexes. Son travail sur l’œuvre de Daniel Danis déçoit en comparaison avec ses brillantes réalisations précédentes. Mentionnons sa relecture extrêmement stimulante d’Hamlet de Shakespeare au TNM ou encore sa mise en espace de la version scénique des Douze hommes rapaillés d’après les poèmes de Gaston Miron. Pour la présente production, sa réappropriation de l’univers «danisien» tend parfois à la surenchère et à la multiplication des effets inutiles. Heureusement, les moments les plus dépouillés révèlent le meilleur de sa signature.
Par leur inclinaison au répertoire contemporain ardu, le Théâtre du Mimésis sait transmettre la fougue et l’énergie pour exprimer ce Chant du Dire-Dire avec un certain éclat.