Des ruelles sombres, de la pluie, des stores vénitiens. C’est Frank, tout va bien célèbre l’univers énigmatique des films noirs des années 1940 avec son lot de magouilles, de fausses identités et de cigares. L’intrigue s’installe dans une ville anonyme des États-Unis, en plein cœur de la Prohibition, royaume des speakeasies, ces bars illicites où le moonshine coule à flot.
C’est Frank, tout va bien s’inscrit dans une série de textes de Marie Lamachine qui s’interrogent sur la place des clichés cinématographiques américains dans l’imaginaire collectif québécois. En jouant avec les codes du film noir, l’auteure explore la relation entre les archétypes du genre et la rigidité de la censure à l’époque du code Hays, ce document historique qui contamine encore la culture populaire nord-américaine.
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Assistance à la mise en scène Kevin Bergeron
Décor Véronique Poirier
Costumes Amélie Jodoin
Éclairages Christine Plouffe
Son Simon Déry
Dramaturgie Marilou Craft
Affiche par Robin Villeneuve
Billet : régulier 20$, étudiant 18$
Une production du collectif Le reste du monde
par David Lefebvre
Après le post-apocalyptique (Un sud juste en dessous de la tête, Théâtre Ste-Catherine, 2011) et la réécriture tchékhovienne (Les méfaits du tabac, MainLine, 2012), le duo de créatrices Marie Lamachine et Édith Tardif Paulin s'approprie l'ambiance cinématographique du film noir dans C'est Frank, tout va bien. Tentative d'expérimentation sur le jeu narratif et la répétition comme charpente du récit, la pièce ne va malheureusement pas au bout de sa réflexion.
C'est Frank, tout va bien n'est pas une pièce linéaire et conventionnelle. Même si elle commence comme tout bon film de détective, avec une ruelle pluvieuse et une racaille ensanglantée, puant la mauvaise vodka, la suite se veut fragmentée, au travers plusieurs tableaux qui finissent par s'entremêler. On y retrouve les personnages typiques, tels les trafiquants d'alcool frelaté, l'homme de main qui mourra tôt ou tard, le proprio d'un bar clandestin et la femme fatale. La pièce joue sur la perception, répétant les scènes de différentes manières ou ajoutant quelques détails pour emprunter de nouvelles avenues de compréhension, permettant ainsi de voir le plan d’ensemble. Si le principe éveille d’abord la curiosité, il tombe à plat assez rapidement, basé sur une intrigue à la fois trop mince et tortueuse. On décroche rapidement après quelques répétitions qui nous semblent ainsi superflues. Par contre, l’expérimentation prend tout son sens dans les dernières minutes du spectacle, alors que les bribes de parole provenant des différentes scènes se collent pour narrer celle en cours, de façon limpide et précise.
La mise en scène use des nombreux clichés du genre, mais toujours de manière superficielle. On crée des clins d’œil sympathiques, mais sans plus. On dénote l’absence totale de tension, élément pourtant fort important du genre ; le spectacle aurait profité d’une certaine dose de suspense pour conserver l’attention des spectateurs. La féminité est omniprésente dans le spectacle : d’abord dans le casting et de la direction d’acteurs, où deux femmes jouent plusieurs rôles d’hommes, puis au cœur de la mise en scène, dont les transitions, dansées, à la Chicago. Si les pas de danse font sourire, les chorégraphies deviennent rapidement lassantes, jusqu’à se demander la raison de leur présence, la pièce ne s’aventurant pas du côté de la comédie musicale. Peu d’accessoires occupent la scène : une porte, une chaise et quelques chapeaux suffisent aux comédiens pour entrer dans l’univers des années 40 et de la prohibition. Christine Plouffe fait un travail splendide aux éclairages, modelant l’ambiance scénique avec doigté. Mentionnons aussi la recherche musicale, très jazzy et à propos, entre Coltrane et Vince Guaraldi.
Si Laurent Trudel s’en tire à bon compte, on ne peut en dire autant de ses acolytes, qui se débrouillent, certes, convenablement, mais pas sans heurts. Physiquement, elles n’assument pas totalement les rôles qu’elles doivent jouer : l’homme de main n’a rien de bien effrayant, et la femme n’est pas aussi fatale qu’elle devrait l’être. On reste alors, encore une fois, dans la superficialité des rôles, ou la narration active, mais jamais participative. Le niveau de langage, toujours changeant, accroche l’oreille : si Marie-Ève Morency maintient la plupart du temps un certain français normatif, Mylène Bérubé s’évertue à conserver un accent québécois légèrement prononcé qui jure avec l’ambiance générale de la pièce. Tant qu’à plonger dans le cliché, autant aller jusqu’au bout et abuser du style « mauvais doublage français », dont Trudel use à certains moments. On peut aussi remettre en question l’usage de l’anglais lors de certaines scènes, qui n’amène rien de bien constructif à l’ensemble.
Le processus créatif du collectif Le reste du monde s’inspire de la culture populaire pour créer, explorer et déconstruire les formes et les archétypes de notre société occidentale. Si C’est Frank, tout va bien s’inscrit dans cette méthode de recherche et propose, de ce fait, certains éléments dignes de mention, la pièce s’avère malheureusement plutôt ennuyeuse et sans réel éclat.