1660. Suriname. Oroonoko, prince africain réduit à esclavage, fomente une révolte. Les nouveaux colonisateurs matent la rébellion en massacrant tous les esclaves. Publié en 1688, Oroonoko est un habile croisement entre dramaturgie théâtrale, de reportage et de biographie écrit par Aphra Behn. Considérée comme la pionnière de l’abolitionnisme, Aphra Behn signait avec Oroonoko, le premier roman humanitaire écrit dans la langue de Shakespeare. Espionne au service du roi Charles II d’Angleterre afin d’enquêter sur l’administration de cette colonie néerlandaise, l’auteure a connu une fin de vie misérable. Paul Van Dyck revisite la vie et l’œuvre de cette activiste politique avant la lettre. Avec Oroonoko, le metteur en scène insuffle à la tragédie une portée plus universelle en juxtaposant la traite Atlantique du XVIIe siècle à la condition féminine actuelle. Chœur d’esclaves, miliciens, et royalistes participent aux derniers soubresauts d’une civilisation perdue.
Regular Schedule:
February 6, 7, 8, 9 (8 pm)
February 10, matinée (3 pm)
February 13, 14, 15, 16 (8 pm)
February 17, matinée (3 pm)
tickets:
$25 adults/regular price
$20 professional artists, students, seniors
$15 groups of 10+
$14 MAI subscribers
$12 student groups
Photo Jeremy Bobrow
par Ariane Cloutier
Paul Van Dyke, révélation de l’année selon le Montreal English Critics Circle, signe une pièce extraordinairement singulière avec Oroonoko, une adaptation du livre de 1688 d’Aphra Behn. Cette nouvelle, un témoignage d’une portion peu reluisante de l’histoire (l’esclavagisme africain du 17e siècle) est considéré comme un des premiers ouvrages humanistes. Le récit est issu de la rencontre historique en Suriname de Aphra Behn avec Orookono, jeune prince ghanéen qui, à son tour esclavagiste et esclave, deviendra à travers Behn un héros romantique. À la fois drame et comédie, réunissant danses, chants et musique, la pièce Oronooko saura captiver le public pendant près de trois heures par son histoire fascinante.
Oroonoko nous est raconté grâce à une mise en scène construite sur une narration parallèle qui se confond progressivement. Le premier niveau propose la rencontre au 17e siècle d’Aphra Behn et Clarice (personnage fictif), une jeune admiratrice et nouvellement mécène de la grande poétesse, lors d’un rendez-vous mondain dans la campagne aux environs de Londres. Le deuxième niveau présente l’histoire d’Oroonoko, dont Aphra devient la narratrice et Clarice, l’interprète de la jeune Aphra, à l’époque de sa rencontre avec le Prince africain quelques décennies auparavant. La mise en scène très dynamique, ponctuée de chants et chorégraphies, présente également une scénographie toujours en mouvement, principalement organisée autour d’un grand drap qui servira à la fois de nappe, de pan de mur, de tente ou de voilage de bateau.
L’interprétation est fougueuse, mais quelque peu inégale. À travers une mise en scène aussi ambitieuse, on peut ressentir que certains interprètes sont issus du monde du jeu, de la danse ou de la musique par leur impeccable maîtrise de cet art particulier et un certain manque d’habitude à exercer les autres. Malgré cela, les performeurs s’y adonnent avec passion. On constate qu’ils embrassent le projet avec intérêt et un bel esprit commun. Rebecca Croll nous offre une Aphra Behn forte et sensible, telle qu’on l’imagine.
Si le destin d’Oroonoko est tragique, le récit recèle autant de moments touchants que de moments drôles, ponctués par l’écriture dotée de beaucoup d’esprit de Van Dyke. Un angle particulier que Van Dyke apporte à l’histoire est une sorte d’analogie entre la condition féminine historique et l’esclavagisme. Par des phrases telles que « Look at me I’m a woman, everywhere I go, I’m a slave to someone » (Regardez-moi je suis une femme, partout ou je vais, je suis l’esclave de quelqu’un), proférées par une des anciennes concubines du roi (père d’Oroonoko) répudiée et devenue esclave. Aphra Behn est pionnière dans l’histoire des femmes et la littérature, étant la première femme britannique à jouir de la notoriété de signer en son nom (et non sous un pseudonyme masculin) ses textes, menant une vie aventurière et peu commune à ses contemporaines. Si Aphra devient un fort symbole d’émancipation, Clarice évoque la spectatrice, timide et plus inexpérimentée, mais curieuse et frondeuse, qui attend son moment pour entrer dans l’histoire. D’autres sujets importants sont soulevés à travers le texte, dont l’esclavagisme des noirs par les noirs, la confrontation de l’intérêt personnel et du bien communautaire et le libre arbitre.
Par cette pièce qui instigue une première collaboration entre le M-A-I (Montréal, arts interculturels) et la compagnie de production théâtrale Persephone, qui l’a accueilli à ses débuts à Montréal, Van Dyke s’intéresse à une histoire particulière qui peut nous sembler à priori très lointaine de sa réalité. Il semblerait que l’auteur ait abouti il y a quelques années, au cours d’un tournage documentaire, dans un « château d’esclave » du Suriname très près du lieu où a été retenu Oroonoko et ses pairs en 1766. Touché par le patrimoine de l’endroit, il aurait quelque temps plus tard dévoré le livre d’Aphra Behn en se promettant d’en faire un jour une œuvre dramatique. En révélant au public le sentiment qui le hante depuis cette prise de conscience historique, Van Dyke tente de communier l’incroyable impuissance et surtout l’empathie devant les horreurs humaines commises, à l’instar d’Aphra Behn en son temps.
« …if the theater is good for anything, it’s to prove that we are not alone. » (…si le théâtre est bon pour quelque chose, c’est pour prouver que nous ne sommes pas seuls.)
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Paul Van Dyke