La 2e Porte à Gauche a dans ses gènes le goût inné de l’expérimentation et l’envie constante d’amener le public hors des sentiers battus. Ce nouvel opus ne fait pas exception et c’est l’Hôtel Le Germain Montréal qu’ils ont choisi comme nouveau territoire à investir. Dans l’intimité de quatre chambres d’hôtel se dévoile l’imaginaire de quatre chorégraphes « mariés » pour l’occasion à quatre auteurs/metteurs en scène : Catherine Gaudet et Jérémie Niel, Catherine Vidal et Frédérick Gravel, Virginie Brunelle et Olivier Kemeid, Marie Béland et Olivier Choinière. Mariage de folie ou de raison, cette union du texte et du mouvement se consomme sous l’œil voyeur du spectateur pour évoquer le couple au-delà de ses clichés. Derrière les portes de ce nouvel espace de création et de représentation se dessinent d’intrigantes rencontres artistiques, avec en filigrane le désir de questionner les liens entre la danse et le théâtre.
Section vidéo
Directrice artistique : Katya Montaignac
Interprètes lors de la création : Sophie Corriveau, AnneBruce Falconer, Siôned Watkins
Direction des répétitions : Sophie Corriveau
RechercMusique : Éric Forget, Thomas Furey
Vidéo : Jérémie Battaglia
Directrice de production : Vanessa Bousquet
Concept : La 2e Porte à Gauche (Marie Béland, Rachel Billet, Frédérick Gravel, Katya Montaignac)
Photo : Francis Ducharme, Clara Furey / © Claudia Chan Tak
Billet : 35$
Production La 2e porte à gauche
Présenté par Agora de la danse
par David Lefebvre
Depuis plusieurs années, on assiste à un réel démantèlement des murs qui séparent les disciplines artistiques, principalement la danse et le théâtre. Ce changement permet l’avènement de spectacles hybrides qui secouent et alimentent la créativité d’artistes inspirés par ce mouvement hétérogène et évocateur. 2050 Mansfield Rendez-vous à l’hôtel fait délibérément partie de ce mouvement, un désir précieux chez La 2e porte à gauche. Après avoir envahi des appartements et des bars d'effeuilleuses professionnelles, La 2e porte à gauche invite le public à l'hôtel Le Germain, au centre-ville de Montréal, pour un in situ qui désire bousculer, encore une fois, les habitudes des créateurs et du public. Ce collectif multidisciplinaire, qui se donne comme mission de démocratiser la danse contemporaine et de proposer une plus grande proximité entre les interprètes et l'auditoire, tente ici d'explorer, dans un environnement qui sied bien à cette expérimentation, le couple, dans son état naturel et fictif.
On entre donc, à chaque poussée de porte, dans l'univers imaginé par les quatre chorégraphes invités, soit Marie Béland, Virginie Brunelle, Catherine Gaudet et Frédérick Gravel, jumelés pour l’occasion à un auteur et/ou un metteur en scène de théâtre, respectivement Olivier Choinière, Olivier Kemeid, Jérémie Niel et Catherine Vidal. Évidemment, vu l’endroit et les thèmes abordés, la sexualité occupe une place de choix au cœur de la plupart des propositions, sans être omniprésente ou même pornographique. D’autres émotions, puissantes et intenses, émanent des chambres, de l’exacerbation à la sensualité, de la folie à la mort.
Frédéric Gravel et Catherine Vidal proposent l’un des tableaux les plus abstraits, ou in-yer-face, de la soirée. Deux hommes, Emmanuel Schwartz et Peter James, se font face, l’un tremblant, debout, l’autre couché, le corps à moitié dans la garde-robe. Qui sont-ils, que sont-ils? Des gais sur un trip hallucinogène, criant, chuchotant, baisant les couvertures? Ou des idées abstraites qui se font face, qui tentent d’entrer en contact, se tabassant, se questionnant sur la température ambiante? Est-ce la réalité contre la fiction, le théâtre contre la danse ? La gestuelle se veut agressive, tendue, violente, tout comme la trame sonore de Francis Rossignol.
Le tableau signé par Virginie Brunelle et Olivier Kemeid est assurément le plus aboutie et le plus touchant des quatre. Un homme repasse un vêtement. Une femme surgit, trempée, dans une robe noire. Il tentera de l’enlacer par trois fois – rappelant l’Enéide, chère à Kemeid – puis retombant toujours dans son quotidien morose, prenant un bain ou zappant à la télé. Il y a chez cet homme, interprété par Marc Béland, un désir de vivre ce fantasme avec cette femme fantomatique, souvent sans expression et sans amour (Isabelle Arcand), qui lui échappe. Mais il y a dans ce couple autant une métaphore de l’ordinaire, dans laquelle l'homme est autant amusé que la femme est lasse et blasée ; puis une métaphore du meurtre par noyade, où l’eau prend une grande place, jusque dans le menu que l'homme commande à la réception – que du poisson. Béland et Arcand sont ensemble sublimes dans leur corps à corps touchant et brutal.
Francis Ducharme et Clara Furey, des partenaires de longue date, se la jouent Roméo et Juliette, enfermés ensemble. Le sol est jonché de vêtements, les meubles débordent de plats à moitié entamés, de bouteilles et de verres. Ça empeste le sexe, le désir, l’animal. Catherine Gaudet propose une chorégraphie explorant plusieurs styles, revenant toujours à des mouvements plus classiques qu’elle désamorce avec des moments plus absurdes. Jérémie Niel met en scène cet amour impossible avec agilité et force, usant des deux danseurs-comédiens de brillante et fougueuse façon, tout en conservant une certaine sobriété sexuelle chez les amoureux, malgré quelques scènes de nudité explicite.
Marie Béland et Olivier Choinière, ne dérogeant pas de leur style habituel, offrent un tableau fort sympathique et amusant, à des années-lumière du reste de la soirée. Mathieu Gosselin et Marilyne St-Sauveur répètent les mêmes gestes incessamment, jusqu’à ce qu’ils se désynchronisent, abordant ainsi la routine chez le couple qui finit par le briser, le tuer de l'intérieur. La trame sonore, des dialogues tirés de plusieurs films américains, montés et répétés eux aussi, viennent merveilleusement compléter cette scène ludique à souhait. Puis, le public est appelé à jouer un rôle, ou deux, les comédiens leur faisant face, récitant façon lipsync le texte de la bande-son. Le spectateur devient ainsi ce couple : on abat tout à coup le mur entre la fiction et la réalité.
Si 2050 Mansfield Rendez-vous à l’hôtel n’a pas la force et les ambitions de Danses à 10, un spectacle qui avait littéralement marqué les esprits des critiques et du public, la plus récente création de La 2e porte à gauche permet d’entrer en contact avec des comédiens, des danseurs et des chorégraphes de talent dans un espace restreint et dans une intimité absolument extraordinaire que peu d’endroits permettraient. Sans être ni saisissante ni dérangeante, 2050 Mansfield demeure une expérience unique, plaisante à explorer.