Passant de la France à l’Algérie coloniale de la fin du XIXe siècle, avant de bifurquer vers l’Europe des années 60 et le Québec contemporain, les destins de cinq générations de personnages se croisent, se chevauchent et culminent en un rendez-vous décisif dans COEUR.
Agissant tel un pont entre le Printemps des peuples et le Printemps arabe, cette pièce de la tétralogie Jeux de cartes traite du passage d’un univers ancien teinté de magie, de croyances et d’illusions à un monde moderne où le savoir et le matérialisme règnent en maîtres.
Parmi les personnages au centre de l’histoire, les spectateurs feront connaissance avec Chaffik, jeune maghrébin, chauffeur de taxi à Québec, qui tente de faire la lumière sur le passé trouble de sa famille, ainsi que Jean-Eugène Robert-Houdin, grand magicien, qui oppose son talent de prestidigitation au pouvoir spirituel des Marabouts algériens du 19e siècle. Entre eux se déploie un réseau familial, politique et artistique qui transcende le temps et les frontières.
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Section vidéo
Dramaturgie
Peder Bjurman
Assistance à la mise en scène
Sybille Wilson
Musique originale & conception sonore
Jean-Sébastien Côté
Scénographie
Michel Gauthier et Jean Hazel
Conception des éclairages
Louis-Xavier Gagnon-Lebrun
Conception des costumes
Sébastien Dionne
Conception des accessoires
Virginie Leclerc
Conception des images
David Leclerc
Rencontre avec Robert Lepage : 31 janvier
Tarif(s) Taxes et frais de services inclus :
Adultes catégorie 1 : 65.00 $
Adultes catégorie 2 : 56.00 $
Aînés (65 ans et plus): 54,00$ - 63,00$
25 ans et moins : 25,00$ - 56,00$
Durée : 3 h 30, avec entracte
Une production d’Ex Machina créée à l’initiative du Réseau 360° en coproduction avec : Ruhrtriennale , La Comète – Scène nationale de Châlons-en-Champagne °, Cirque Jules Verne & Maison de la Culture – Scène nationale d'Amiens °, La Tohu - Montréal °, Østre Gasværk Teater – Copenhague °, Roundhouse – Londres °, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
° Membres du Réseau 360°, qui rassemble des lieux circulaires à vocation artistique.
par David Lefebvre
Jette ton cœur loin devant toi; et cours l’attraper.
- proverbe arabe
Créé à la fin du mois de septembre 2013 en Allemagne, la pièce Cœur de la tétralogie Jeux de cartes d’Ex Machina prend possession de la Tohu jusqu’au 9 février prochain. La première partie, Pique, se passant essentiellement à Las Vegas, abordait les illusions et la perte de celles-ci, et souffrait des défauts de ses qualités : la superficialité dans laquelle baignait la pièce, qui rendait pourtant bien l’ambiance de la ville de tous les vices, rendait banale, malheureusement, la destinée des personnages auxquels nous avions de la difficulté à nous attacher. Cœur s’en tire beaucoup mieux, abordant les mécaniques et les aléas du cœur, de l’espoir, de l’appartenance et de la foi.
S’étalant de 1855 à 2011, l’histoire de Cœur explore l’un des grands conflits contemporains, soit la conquête de l’Algérie par la France au 19e siècle. Elle le fait par contre d’une manière bien singulière, soit par l’entremise de trois maîtres de l’illusion : Robert-Houdin, mandaté par l’Empereur français de stupéfier les marabouts en Algérie et de débouter leurs sorciers (et leurs influences) en prouvant qu’il – donc la France – possédait aussi de grands pouvoirs « magiques » ; Félix Nadar, photographe pionnier, peut-être le réel inventeur du concept du cinéma, séjournant à Alger la blanche, et Méliès, qui, entre autres, reprendra le théâtre de Robert-Houdin après sa mort. Le cinéma est donc l’un des moteurs de ce nouveau spectacle, initié ici par la présence de Judith (prénom partagé par l’héroïne de la Bible qui aura inspiré la figure pour la Dame de cœur du jeu de cartes français, un clin d’œil bien à propos), une jeune chargée de cours à l’Université Laval qui enseigne l’histoire du septième art. Alors qu’elle est en retard pour un cours, elle monte dans le taxi de Chaffik, qui s’entichera d’elle. Leur amour naissant permettra de suivre l’histoire du Maghrébin, soudainement en quête identitaire après avoir découvert une partie de la vérité sur la disparition de son grand-père, membre du Front de libération nationale (FLN). Une quête à saveur mouawadienne, qui mènera Chaffik de Québec à Paris, puis du Maroc vers l’Algérie, un voyage qui ne sera pas sans conséquence.
Grâce au cinéma et à ses pionniers, tous les personnages de Cœur, ainsi que leurs destins, sont étroitement liés. Avec beaucoup de doigté, de sensibilité et d’intelligence, le texte écrit à 16 mains s’amuse à créer de multiples boucles entre les lieux, les personnages, leurs actes et leurs histoires. Les personnages inspirés de la réalité que Cœur met en scène fascinent immédiatement ; on désire en connaître davantage sur ces illustres maîtres. Quant à Judith et Chaffik, ils sont de magnifiques portes d’entrée sur un même monde, une même histoire, mais sous des angles diamétralement opposés, soit, d’une part, l’art, la magie et ses acteurs, dans un monde en guerre, et, de l’autre, les bombes, la révolution et la torture, dans une réalité mordante. La famille du Maghrébin, douce, chaleureuse et accueillante, est à l’opposé de celle de la jolie professeure, qui s’avère être bourgeoise, aux préjugés aberrants et aux clichés humoristiques aussi savoureux qu’insensés - et malheureusement réalistes. La scène du dîner chez les parents respectifs, où l’on passe d’une cuisine à l’autre en claquant des doigts, est absolument fantastique.
Techniquement, si Cœur n’éblouit pas autant que Pique, la pièce use pourtant parfaitement de l’aspect circulaire de la scène et des nombreuses trappes du plancher. Tout est très aérien : des câbles viennent suspendre des lits ou une nacelle de montgolfière, ou alors on monte à plusieurs reprises un voile-écran diaphane, encerclant complètement la scène, sur lequel on projette photos et vidéos de Robert-Houdin, Méliès et Nadar. Un certain dynamisme est créé par un effet de lente rotation des comédiens qui prennent place sur scène, rappelant le travelling au cinéma.
Reda Guerinik propose un très attachant Chaffik, à l’accent québécois bien prononcé ; Olivier Normand joue un superbe Robert-Houdin, digne et droit. Catherine Hughes est charmante en Judith – qui se convertit peut-être un peu rapidement et sans explication précise à l’Islam, en adoptant le voile après avoir simplement lu le Coran, ou, comme sa mère l’appelle (hilarant Louis Fortier), « the other bible » ; une réplique d'un élève de l'université viendra faire un clin d’œil assumé au débat très actuel sur la Charte des valeurs. Kathryn Hunter est simplement stupéfiante sous les traits, entre autres, d’un enfant d’Alger, d’Olympe, la femme extravagante de Robert-Houdin, ou encore sous le voile de la si sympathique grand-mère de Chaffik. Si quelques cafouillages étaient perceptibles lors de cette première nord-américaine, ils sont aisément pardonnables, puisqu’il s’agit – presque - d’une première mondiale, la création ne comptant que cinq représentations à la Rhur, l’automne dernier. Le spectacle est ainsi appelé à évoluer, un diamant brut qu’on polira au fil du temps.
Si Félix Nadar adorait la photographie et expérimentait avec elle pour « garder la mémoire vivante », Lepage fait de même avec son théâtre, explorant l’humanité et créant de véritables fresques où l’ordinaire côtoie l’extraordinaire dans un même corps, un même cœur, tel un fildefériste en équilibre sur le fil de la vie. Il faudra être patient par contre pour découvrir la suite et la fin de cette tétralogie : à ce jour, aucune date officielle n’est encore prévue pour la création de Carreau et de Trèfle.