Dans leur petit appartement, un couple passe le temps à se détester tandis qu'au dehors de leurs murs la guerre fait rage. Est-ce pour mieux échapper au cauchemar de l'extérieur que ces deux personnages se créent leur propre enfer?
Une production du Théâtre In Extremis – La compagnie existe depuis 2006 et a créé les spectacles Un wagon nommé désir, Les grondements souterrains, Tant de choses à vous dire et Voyage d'hiver ainsi que de nombreux Cabarets In Extremis multidisciplinaires.
Éclairages : Olivier Bochenek
Musique : Steve Lalonde
Tarifs
Régulier : 21,94$
Une production du Théâtre In Extremis
Dates antérieures (entre autres)
6-7, 13-14, 20-21, 27-28 octobre 2013, 20h + supplémentaires 4-5 novembre 2013 au Bar l'Escogriffe
par Olivier Dumas (2013)
Isabel Rancier est certainement l’une des artistes les plus attachantes et stimulantes de sa génération. Elle aime défricher les terrains inconnus, notamment lors de sa prestation dans le solo Pourquoi pas moi il y a quelques années, spectacle qu’elle a porté sur ses épaules avec une belle candeur. Sa signature se répercute également comme metteure en scène d’un électrisant Délire à deux produit par le Théâtre In Extremis.
Dans le petit bar l’Escogriffe de la rue Saint-Denis sur le Plateau Mont-Royal, la pièce en un acte d’Eugène Ionesco ne paraît aucunement embêtée par un lieu aux lumières sombres, qui, au premier abord, semble peu propice à la réception d’une prestation théâtrale. Créée en avril 1962 au Studio des Champs-Élysées dans une mise en scène d’Antoine Bourseiller, Délire à deux ne figure que très rarement sur les planches québécoises ou étrangères. Plus qu’une parenthèse, elle fut écrite entre deux œuvres charnières dans la carrière du célèbre maître de l’absurde comique, soit Rhinocéros perçu par certains comme un pamphlet antifasciste, et Le roi se meurt que certains qualifient de tragi-comédies shakespeariennes.
Le texte de Délire à deux traite d’un couple hétérosexuel qui s’aime et s’entre-déchire. L’amorce du récit part d’une conversation qui aurait plu aux créatures de son classique La cantatrice chauve : la femme veut que son conjoint considère le limaçon et la tortue comme étant la même bête. Ce différend conjugal devient le prétexte d’une escale verbale où la raison côtoie l’irrationnel. À l’extérieur de leur domicile, la guerre gronde avec ses bombardements et ses cris. En somme, nous assistons à un microcosme en apparence festif, parfois touchant et parfois grotesque, qui se débat parmi les décombres. Le conflit du dehors devient ici un moyen de communication, et non de résolution.
Si des exégètes du répertoire d’Ionesco la considèrent comme une piécette mineure ou un petit divertissement anodin, son propos et son écriture demeurent d’une grande pertinence encore aujourd’hui, malgré la patine du temps qui passe. Sa richesse dramatique demeure presque un modèle précurseur à toutes ces histoires, maintes fois transposées à la scène, sur ces êtres qui se désirent, se caressent, se griffent et se détruisent à la fois. Isabel Rancier et le Théâtre In Extremis ont eu la main heureuse avec un matériau aussi judicieux. L’intemporalité du sujet peut donner l’impression que l’histoire fut écrite en ce début de 21e siècle. En France, la pièce fut reprise récemment dans un décor s’apparentant à un ring de boxe. Une réserve, toutefois, sur le texte : vers la fin de l’heure de la représentation, le récit commence à tourner en rond et souffre d’une trop grande linéarité. Une progression plus accentuée aurait entraîné un intérêt encore plus marqué.
Mais les qualités prennent largement le pas sur les défauts. Reconnaissons tout d’abord à la metteure en scène ses tentatives de décloisonner les repères traditionnels de la pratique scénique et d’abolir les distances entre la scène et la salle. Par ailleurs, les deux comédiens se promènent d’un bout à l’autre du lieu. Les tabourets, les petites tables rondes et le comptoir deviennent même des accessoires à l’action. Dans cette joute verbale, les acteurs réussissent à incarner dans leurs voix et dans leurs corps toutes les tensions de ces individus engouffrés entre la vie dangereuse d’un univers sur le bord de l’éclatement et la mort grondant tout autour. Langoureuse et endiablée, Catherine Huard compose un beau tandem tout en contraste avec son partenaire Arnaud Bodequin, plus flegmatique. Les quelques instants plus chorégraphiques sur des musiques planantes apportent une touche nerveuse et frénétique à ce tableau libérateur.
Les dimanches et lundis soirs demeurent le moment propice dans une semaine bien chargée (et parfois surchargée) en propositions artistiques pour découvrir des artistes généreux. L’occasion en devient plus féconde de se remettre dans le creux de l’oreille un morceau méconnu d’un dramaturge marquant. Ce Délire à deux constitue donc une grouillante illustration de la vivacité et de la générosité d’Isabel Rancier et de ses acolytes.