Mise en scène par Mieko Ouchi, The Tashme Project reconstitue le destin méconnu des Nisei, la deuxième génération de Canadiens d’origine japonaise marquée par l’internement forcé dans des camps pendant la Deuxième Guerre mondiale. Souvent occulté, ce chapitre de l’histoire canadienne revit grâce aux entrevues de vingt septuagénaires et octogénaires. De l’époque des camps jusqu’à aujourd’hui, c’est tout le parcours de ces Nisei qui est mis en relief, brisant le silence et la honte : les souvenirs de jeux et d’aventures dans les camps, les souvenirs d’épreuves, d’injustice, de réinstallation dans la misère de l’après-guerre, les souvenirs des décennies suivantes.
Dans un montage fluide, les voix se mêlent et se répondent, anonymes, portées par Julie Tamiko Manning – Othello, girls!, girls! girls! – et Matt Miwa – Little Martyrs, Lost in TV –, deux comédiens chevronnés, issus de la jeune génération japonaise canadienne. Ceux-ci ajoutent leur témoignage aux voix discrètes et touchantes de leurs aïeux. C’est ainsi toute une génération, et son héritage, qui se révèlent, une génération marquée par l’adversité, le racisme, la persévérance et la dignité.
Section vidéo
Photo Archives personnelles de la famille Takeda
Tarif
25 $ Régulier
20 $ Réduit (Professionnel des arts – aînés – étudiants – Carte Accès Montréal – Membre du DAM, ELAN)
18 $ Série Création bourgeonne
Yeux de Cérès de Ilya Krouglikov et Eduardo Ruiz Vergara
Unrelated de Daina Ashbee
La fille du soleil du Collectif Lisanga
15 $ Groupe (10 +)
par Geneviève Germain
L’histoire de nos aïeux a souvent de quoi intriguer. Comment vivaient-ils? Quelles épreuves ont-ils surmontées? Pour Julie Tamiko Manning et Matt Miwa, les cocréateurs de The Tashme Project : The Living Archives, le mystère était d’autant plus entier que les générations canado-japonaises les ayant précédés ne parlent pas, ou alors très peu, de leur vécu. Les Nisei, deuxième génération de Canadiens d’origine japonaise, sont maintenant vieillissants et leur vécu a de quoi susciter la curiosité puisqu’ils ont connu les camps d’internement lors de la Deuxième Guerre mondiale. Eux-mêmes descendants de 3e et 4e génération d’immigrants japonais, Manning et Miwa ont décidé d’aller à la rencontre de ces générations qui les ont précédés. Ce projet leur a permis de recueillir plus de 70 heures de témoignages d’une trentaine de Nisei sur une période de cinq ans. The Tashme Project : The Living Archives s’inspire de ces récits et présente intégralement plusieurs extraits d’entrevues dans une démarche toute personnelle des créateurs dans le but de faire la lumière sur le passé de leur communauté.
L’immigration japonaise en sol canadien a débuté dès la fin du 19e siècle, principalement le long des côtes de la Colombie-Britannique. Dès 1941, suite à l’assaut japonais contre la base navale américaine de Pearl Harbor, le gouvernement canadien a ordonné la déportation de dizaines de milliers de Canado-japonais vers des camps de travail et des camps d’internement. Les familles étaient souvent séparées, les hommes étant dirigés vers les camps, les femmes et les enfants étant relocalisés dans les villes fantômes servant de camps d’internement. Même si on leur a promis de leur rendre leurs biens après la guerre, la grande majorité des maisons, des bateaux et des objets personnels de ces familles ont été vendus par le gouvernement qui a subventionné les camps à même le profit de ces ventes. Après la guerre, les familles étaient fortement encouragées à retourner au Japon. Celles qui ont choisi de rester ont été déportées dans différents endroits à l’est des rocheuses, dans un effort de disperser cette communauté.
La pièce retrace ces principaux éléments historiques en y intégrant autant des témoignages des créateurs du projet, également interprètes, que ceux des personnes qui ont participé aux entrevues. Le décor créé par James Lavoie reflète le caractère bien intimiste de cette présentation : un bureau couvert de papiers d’archives et d’albums de photographies meuble le centre de la scène alors que des vitres suspendues permettent à la fois la projection de photographies et certaines prises de paroles plus intimes par Manning et Niwa.
La mise en scène de Mieko Ouchi, également de descendance canado-japonaise, est toute en délicatesse et retenue, offrant des déplacements lents, des silences, des temps de réflexion. Les personnages plient du papier tout en parlant, créant des grues en origami, celles-ci devenant en quelque sorte un symbole de cette appartenance japonaise qui se transmet d’une génération à l’autre. Alors que les interprètes incarnent les Nisei qui ont livré leurs témoignages, on dénote une réelle volonté de rendre hommage à leur vécu et leur histoire, sans mettre l’accent sur les pertes immenses que ces gens ont sans doute subies. Leurs récits transpirent la résilience, répétant à multiples occasions une expression japonaise qui se traduit par « It cannot be helped » (on ne peut rien y faire – traduction libre). D’ailleurs, il est étonnant de découvrir que la plupart de leurs souvenirs sont teintés de joie, la majorité d’entre eux ayant vécu cette expérience en tant qu’enfants, concédant du même coup que ce fut certainement une période plus difficile pour leurs mères.
Dans cette recherche de leur identité culturelle, Manning et Niwa ont cherché à comprendre ce passé, sans pour autant brusquer la mémoire de ceux qui ont accepté de participer au projet. Ce n’est donc qu’un début de réponse qu’offre The Tashme Project : The Living Archives. Malgré quelques maladresses, notamment lorsque les interprètes livrent les témoignages des Nisei qu’on arrive parfois difficilement à différencier des moments de narration, le caractère ultra-intimiste de la pièce demeure poignant. Grâce à cette démarche unique qui a permis de recueillir des récits qui sont présentés sur scène pour la première fois, la pièce réussit à offrir un hommage sensible et sincère aux générations de Canado-japonais qui ont inspiré les créateurs de ce projet.