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Du 4 au 15 novembre 2014, 20h
L'augmentation4'sous sur le tréteau
D’après le classique de Bertolt Brecht, L’Opéra de 4’sous.
Adaptation et interprétation Camille Loiselle D’Aragon et Carl Veilleux.
Mise en scène de Louis Morin
Musicien Louis Bélanger

4'Sous, sur le tréteau, c'est le souhait de revisiter, de vulgariser et de « parodier » L'opéra de quat'sous, qui est toujours d'actualité, ainsi que de démontrer la magnificence d'un opéra par l'entremise d'un univers de théâtre d'objets pour rendre plus accessible cette histoire.

T.O.M.M. c'est le désir de joindre le théâtre, la musique, la marionnette et l'objet tout en revisitant les classiques d'hier et d'aujourd'hui.


Conception Louis Bélanger, Louis Morin, Camille Loiselle-D'Aragon, Pierrick Paradis et Carl Veilleux

Carte Prem1ères
Date Premières : toutes les représentations
Régulier : 22$
Carte premières : 11$

Production T.O.M.M.


Espace La Risée
1258, rue Bélanger Est
Billetterie : 514-931-6630



Dates antérieures (entre autres)

Du 14 mars 2014 - Illusion Théâtre
Chez Baptiste
6 avril 2014 - Sala Rossa, lors de Vue sur la relève

 
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 Critique
Critique

par Daphné Bathalon


Crédit photo : TOMM

L'Opéra de quat'sous est sans doute l'un des textes les plus célèbres de Bertolt Brecht, et parmi les plus souvent montés ou adaptés. L'histoire du truand romantique Mackie, les nombreuses chansons, la critique sociale et un bon potentiel dramatique en font une pièce très aimée.

L'adaptation d'un tel morceau du répertoire en théâtre d'objets représente tout un défi que les jeunes créateurs des  compagnies T.O.M.M (Théâtre d’Objets et Marionnettes Musicale) et Décibel semblent avoir pris grand plaisir à relever. La proposition prend résolument le parti de la relecture comique de cette pièce qui dure souvent près de trois heures. 4'sous sur le tréteau revisite en un peu moins d'une heure ce spectacle musical en trois actes sur un bout de comptoir de bar, entre quelques verres, des bouteilles de liqueur et un seau à glace.

L'histoire commence chez le roi autoproclamé des mendiants, M. Peachum, ici devenu M. Apeachum (on salue le jeu de mots), où celui-ci s'inquiète des fréquentations de sa fille Bunny. Massif, avec une bouche énorme et une mâchoire qui claque, M. Apeachum (un bac à condiments) occupe à lui seul la moitié du tréteau, en contraste avec sa femme (une délicate coupe à cocktail) et sa fille (une passoire à cocktail), à la voix (très) haut perchée. Autour des Apeachum gravitent un mendiant-espion (une olive plantée sur un cure-dent), Jack-le-scalpeur (un shaker), ses hommes de main (différents tire-bouchons et ouvre-bouteilles), ses femmes (tant les officielles que les prostituées) et le chef de police Tigre Brun (une bouteille verseuse).

Les créateurs jouent habilement de l'univers du bar en allant récupérer les accessoires qu'on y retrouve, offrant même au passage une tournée de shooters au public pour bien commencer la soirée. Le tréteau est lui-même un comptoir de bar tout à fait fonctionnel, avec ses coupes et ses bouteilles d'alcool. L'alcool coule à flots en cours de représentation, le taux d'alcoolémie montant en flèche chez Mme Apeachum. Cette appropriation complète de l'univers et la grande complicité des deux interprètes, qui se permettent même quelques improvisations lorsque les objets échappent à leur contrôle, font que même dans la salle, on se sent entre amis, réunis autour d'un verre, à écouter un joyeux délire théâtral et spontané.

Camille Loisel D'Aragon et Carl Veilleux nous servent d'emblée une excellente mise en bouche avec une première chanson, la classique Complainte de Mackie, qui nous met tout de suite dans l'ambiance. Sur la vingtaine de chansons que compte la pièce originale, la production en offre près d'une dizaine, dont les plus connues. Après la Complainte, on reconnaît La fiancée du pirate, Le chant des canons, le Duo de la jalousie et le dernier appel à la pitié de Jack. Deux belles voix et une jolie interprétation à la guitare par le musicien Louis Bélanger, qui signe également l'adaptation des chansons originales, conquièrent facilement l'auditoire. Les chansons rythment bien le spectacle, compensant certains tableaux qui s'étirent, comme la scène du mariage de Bunny et Jackie. De fait, dans cette scène, la chanson de Jenny, pourtant joliment illustrée sur le comptoir par une bouteille-navire et une pirate-lavette, fait légèrement grimacer à cause de la voix aiguë de Bunny.

Impossible bien sûr de ne pas voir la forte influence du Théâtre de la Pire Espèce dans cette production, qui pourrait être la petite sœur d'Ubu sur la table. En effet, 4'sous sur le tréteau ne renouvelle pas la formule du théâtre d'objets sur table : un grand classique théâtral revisité avec des objets du quotidien, une bonne dose d'humour, un quatrième mur à géométrie variable, des jeux de mots suivant le thème choisi (la cuisine pour Ubu et le bar pour 4'sous), et des interprètes pleins de connivence, mais le metteur en scène Louis Morin s'approprie bien le genre. La production, très ludique et musicale, fait rire et sourire à plusieurs reprises. Elle charme par sa simplicité et par le plaisir qu'ont ses interprètes à attribuer personnalités et émotions à ces objets inanimés. Et ils les manipulent avec un réel doigté, qui donne vie aux personnages de Brecht.

L'adaptation laissera peut-être perplexes les spectateurs qui ne connaissent pas au moins déjà un peu l'argument de la pièce originale, 4'sous sur le tréteau se concentrant sur les scènes marquantes du texte de Brecht. Reste que la production, déjà présentée à L'Illusion et à Vue sur la relève cette année, vaut certainement un détour par l'Espace La Risée pour une soirée alcoolisée en bonne compagnie.

08-11-2014



par David Lefebvre (mars 2014)


Affiche de la pièce

Comédie musicale allemande de Bertolt Brecht et Kurt Weill datant de 1928, inspirée de The Biggar’s Opera de John Gay (18e siècle), L’Opéra de Quat’sous met en scène, entre autres, Monsieur Peachum, directeur d’une « société » plus ou moins illicite qui contrôle la mendicité de Londres, qui voit sa fille Polly s’amouracher de Macheath, dit Mackie, un gentleman chef de gang. Le père est naturellement fou de rage, mais la petite, croyant avoir trouvé le grand amour, n’en démord pas, avouant même s’être mariée avec lui la veille. Peachum et sa femme, qui ont besoin de Polly pour amadouer les inspecteurs de la ville, fomentent un plan pour faire incarcérer Mackie, et ce, malgré le fait qu’il soit un ami intime du chef de la police. Corruption, banditisme et numéros musicaux en feront un des grands classiques du théâtre du 20e siècle.

Ces dernières années, deux versions de cet opéra ont été montées sur les scènes montréalaises : d’abord au TNM, en 2010, mis en scène par Robert Bellefeuille, mettant en vedette Serge Postigo et Émilie Bibeau, puis à l’Usine C, en 2012, par Brigitte Haentjens, avec Sébastien Ricard, Paul Savoie et Eve Gadouas dans les rôles principaux. Est-il possible de réinventer et de revisiter cette fable expressionniste  de manière nouvelle et originale? La réponse est oui, et la compagnie T.O.M.M. (Théâtre d’Objets et Marionnettes Musicale), en collaboration avec Décibel, l'a prouvé de façon indéniable lors de la plus récente Soirée M de l’Illusion Théâtre.

D’abord, un mot sur cette soirée thématique de l’Illusion, encore trop peu connue du grand public : inaugurées en 2010, les Soirées M permettent à des compagnies, souvent émergentes,  de tester devant public leur projet en gestation. Un laboratoire, en quelque sorte. Si, habituellement, l'on présente surtout des extraits, les spectateurs ont parfois droit à des œuvres relativement terminées, ou près de l’être ; ce fut le cas vendredi dernier, où 4’sous sur le tréteau fut présenté dans sa version complète avant sa réelle première, qui aura lieu le mois prochain.

Plus qu’une adaptation, 4’sous sur le tréteau est le résultat d’une audacieuse réappropriation de l’œuvre de la part de Carl Veilleux et de Camille Loiselle-D’Aragon, comédiens, chanteurs et marionnettistes, qui avaient envie depuis un bon moment de travailler ensemble. Avec le metteur en scène Louis Morin (qui travaille présentement sur la mise en scène de la comédie musicale Sweeney Todd à Québec), le duo propose, à l’instar des créations de la Pire Espèce, un théâtre d’objets drôlement divertissant, utilisant différents outils du barman aguerri, tels shaker, passoire à cocktail, récipient pour quartiers d’agrumes, verres, pilon à mojito, décapsuleur et autres limonadiers pour incarner les personnages de la pièce. Peachum devient par le fait-même Apeachum, sa fille Polly prend le nom de Bunny (à cause des petites oreilles de lapin que la passoire lui procure) et Mackie, Jack le Scalp-Peur. Le tréteau construit spécialement pour l’occasion se veut un petit comptoir portatif avec tous les accessoires nécessaires, incluant évidemment bouteilles et liqueurs. Le spectateur peut s’avérer sceptique devant le choix du thème (le bar), qui semble « loin » de la pièce originale, mais en quelques secondes, tout se met en place et fait sens : on parle souvent d’alcool dans l’Opéra, on est dans le quartier de Soho, avec sa racaille et ses voyous, on est dans la séduction, la clandestinité, la prohibition.

Les comédiens arrivent, distribuent Bloody Caesar et shooters tout en chantant l’air de La complainte de Mackie. Les accessoires dans leurs mains prennent vie, le spectacle à l'intérieur du spectacle commence ; la frontière ne sera jamais étanche entre les manipulateurs, qui se font des commentaires ou prennent la place des personnages pour un instant, et les objets qu’ils animent. Leurs voix se marient harmonieusement bien, rendant les numéros chantés fort réussis. Louis Bélanger à la guitare, qui signe aussi l’adaptation des chansons, fait un superbe travail, même si un deuxième instrument (une contrebasse par exemple, pour un swing encore plus jazzy, ou des percussions – simples caisse claire et cymbales Charleston ou hi-hats) seraient bienvenus, rendant moins nue l’accompagnement musical. L'adaptation balance joyeusement entre la vulgarisation de l'oeuvre de Brecht et la parodie, et ce, avec brio. Quelques clins d’œil sont hilarants, dont une chanson de Roch Voisine qui s’insère sans crier gare à la trame musicale, ainsi que certains jeux de mots comme « Shaker-speare » et « scotch-land yard ».

Alors que la finale L'Opéra de Quat'sous ressemble à un conte de Disney avant son temps, avec Mackie qui, juste avant sa pendaison, se fait exonérer de tout blâme par le roi, on décide ici, et avec raison, d’aller au bout de la sentence. Malheureusement, elle manque d’éclat, rendant la mort de Jack plutôt banale, voire quelconque. Avec tous les efforts déployés précédemment, l’exécution du bandit notoire devrait avoir plus de panache, quitte à exagérer la scène.

Même si l’on peut affirmer que cette version presque finale de 4’sous sur le tréteau était en tout point de vue une grande réussite pour le T.O.M.M. et Décibel, elle n’en était qu’à sa première présentation devant public. Le projet évoluera donc beaucoup avec le temps, les échanges entre les comédiens se peaufineront, quelques surprises pimenteront les scènes déjà souvent délirantes et la troupe trouvera sûrement le moyen de couper davantage – même si la troupe a miraculeusement fait passer la pièce de plus de trois heures à 1h15 sans dénaturer totalement le récit – quitte à utiliser quelques raccourcis narratifs, pour que ce petit diamant brut puisse briller de tous ses feux.

Prochain rendez-vous : 6 avril 2014 à la Sala Rossa, lors de Vue sur la relève. À ne manquer sous aucun prétexte!

16-03-2014