Dans une imposante structure métallique qui a valu au scénographe Bernard Lagacé un prestigieux prix Bessie à New York, deux hommes oscillent entre la rage et le désespoir. Comment composer avec la promiscuité et la violence du monde qui les entoure? Comment créer un semblant de cette liberté à laquelle ils aspirent? Tels deux lions en cage, ils s’épient, se confrontent. Leur gestuelle est nerveuse. La rencontre des corps est féroce. Ils s’agitent, se suspendent aux barreaux, s’y balancent dans une danse acrobatique quasi circassienne. Parfois, heureusement, ils parviennent à trouver un peu de réconfort dans la tendresse et la sensualité partagées de rapprochements furtifs.
Vingt-deux ans après la création de Bagne, les chorégraphes Jeff Hall et Pierre-Paul Savoie revisitent de fond en comble cette œuvre marquante du patrimoine chorégraphique québécois. Ils enracinent leur danse-théâtre dans la réalité de notre temps en la transmettant aux très intenses jeunes interprètes Lael Stellick et Milan Panet-Gigon (ponctuellement remplacé par Jonathan Fortin) et en s’inspirant d’images comme celles de la prison d’Abou Ghraib.
Orchestré sur le vif, le nouvel environnement sonore renforce le sentiment d’urgence de l’œuvre originale. Un huis clos palpitant et poignant pour une puissante métaphore de nos prisons intérieures.
Musique et conception sonore Bernard Falaise
Scénographie Bernard Lagacé
Éclairages Marc Parent
Conception des costumes Linda Brunelle
Conseiller dramaturgique Guy Cools
Durée 60 minutes
Billets à partir de 37,50$
PPS Danse
En coprésentation avec La Place des Arts
Section vidéo
En 1993, les chorégraphes Pierre-Paul Savoie et Jeff Hall créaient le spectacle Bagne, provoquant une réelle commotion dans le domaine artistique. À cette époque, les deux artistes avaient d’ailleurs remporté le Prix Jacqueline-Lemieux pour cette œuvre. Afin de souligner les 25 ans d’existence de la compagnie PPS Danse, Savoie et Hall ont choisi de recréer le spectacle, en confiant cette fois l’interprétation de ce duo acrobatique à deux jeunes danseurs, Lael Stellick et Milan Panet-Grignon.
Rarement la danse exploite un filon narratif aussi clair que dans Bagne, où les artistes comptent essentiellement sur l’expressivité des corps pour raconter une histoire pourtant assez explicite. Dans le décor d’une prison qui rappelle celle d’Abou Ghraib, Bagne exploite la thématique de l’emprisonnement pour montrer ce que produit un tel enfermement sur le corps et sur l’esprit.
Grâce à une structure métallique conçue par Bernard Lagacé, le décor évoque l’exigüité et la froideur de l’établissement pénitencier de manière symbolique, évitant ainsi les clichés ou les effets pervers qui auraient pu ressortir d’une scénographie trop réaliste. La cage de métal agit comme un troisième partenaire de jeu pour Stellick et Panet-Grignon, qui investissent la structure architecturale en y grimpant, en s’y fracassant ou en s’y collant, dans un rapport à la fois sensuel et violent avec elle. Grâce au travail avec de nouveaux interprètes, Savoie et Hall ont poussé davantage les possibilités physiques et architecturales du décor que lors de la création du spectacle.
L’environnement sonore a aussi été réinventé par Bernard Falaise pour la recréation, notamment par l’ajout de micros dans le décor, faisant davantage résonner l’entrechoquement des corps avec le métal. À la musique martelante déjà présente à la création s’ajoutent des cris étranges, angoissants et suppliants poussés par Lael Stellick.
L’interprétation de Bagne demande aux danseurs une forme physique exemplaire, afin d’être en mesure d’exécuter les nombreux sauts, suspensions et portés que commande le spectacle. Non seulement Lael Stellick et Milan Panet-Grigon ont une force impressionnante, mais ils arrivent à la mettre au service de mouvements excessivement lents et soutenus. Stellick transporte par exemple longuement son partenaire étendu sur une plateforme constituée de métal et de bandes élastiques, restant en parfaite maîtrise tout au long de la scène, et le faisant même tournoyer dans l’espace dans une transe qui se rapproche du rêve. Les deux interprètes arrivent à rendre la grande sensualité de la chorégraphie qui propose un jeu d’attraction/répulsion poignant où les mouvements furtifs côtoient les contacts prolongés. Bagne pousse l’évocation très loin, jusqu’au saut final dans le vide de Panet-Grignon, en laissant toutefois au public le soin de bâtir sa propre histoire.
Dans cette nouvelle mouture, Bagne atteint un nouveau degré de raffinement esthétique, tous les éléments du spectacle étant en parfaite cohésion les uns avec les autres. Pierre-Paul Savoie et Jeff Hall réussissent ici un coup de maître en adaptant leur œuvre pour le public contemporain tout en conservant l’essence de la création. Avec ses scènes intenses, mais jamais lourdes, Bagne a l’effet d’un coup de poing en plein visage. Les spectateurs sortent complètement bouleversés à la fin de la représentation.