Depuis plus de 20 ans, la Compagnie Marie Chouinard triomphe sur toutes les scènes du monde avec l’incandescent solo Prélude à l’après-midi d’un faune et le fougueux Sacre du printemps. Et comme si le cadeau de reprendre ces chefs-d’œuvre ne suffisait pas, elle en démultiplie la puissance sauvage en nous les livrant accompagnés des quelque 70 musiciens de l’Orchestre symphonique des jeunes de Montréal, sous la direction de Louis Lavigueur. Magistral.
Prélude à l’après-midi d’un faune (1994, Taipei)
Marie Chouinard s’est inspirée de photos de la chorégraphie avec laquelle Nijinski fit scandale en 1912 pour créer L’Après-midi d’un faune (1987) et donner corps à cet animal mythique. Elle imagine ainsi une danse de profil, en aplat, et représente les 7 nymphes affriolantes de l’œuvre originale par 7 faisceaux de lumière. La trame musicale est alors composée de sons activés grâce aux déclencheurs attachés à son corps. Par la suite, à la demande des organisateurs du Festival international de Taipei, elle transpose ce solo syncopé sur la musique de Debussy, ce qui donne naissance à Prélude à l’après-midi d’un faune.
Le Sacre du printemps (1993, Ottawa)
C’est sur cette partition de Stravinski dans laquelle elle reconnaît tous les rythmes qui l’habitent que Marie Chouinard décide de créer, pour la première fois, une chorégraphie sur une œuvre musicale existante. Y retrouvant la pulsation originelle caractéristique de sa gestuelle, elle se détourne du livret de la chorégraphie signée par Nijinski en 1913 pour simplement célébrer le tout premier jaillissement de la vie. Elle le fait avec une composition exaltante dans laquelle solos, duos et trios se succèdent, s’enchâssent ou sont livrés simultanément. Cette troisième œuvre de groupe marque son entrée sur la scène française et accroît son succès déjà retentissant.
Lumières Marie Chouinard
Costumes L Vandal
Accessoires Zaven Paré
Maquillage Jacques-Lee Pelletier
Coiffure Daniel Éthier
Musiques Signatures sonores, Rober Racine, 1992, 12 minutes
Le Sacre du printemps, Igor Stravinsky, 1913 - avec la permission de Boosey & Hawkes, Inc., éditeur et détenteur des droits de reproduction, 35 minutes
*Danseurs lors de la première mondiale Marie-Josée Paradis, Mathilde Monnard, Daniel Éthier, Dominique Porte, Pamela Newell, José Navas, Jeremy Weichsel
Durée 1h10
Billets à partir de 36,50$
Une production de la COMPAGNIE MARIE CHOUINARD en coproduction avec le Centre national des Arts (Ottawa, Canada), le Festival international de nouvelle danse (Montréal, Canada) et le Kunstentrum Vooruit (Gand, Belgique).
Section vidéo
Pour trois soirs seulement, la Compagnie Marie Chouinard présentait en programme double deux des œuvres phares de son répertoire : Prélude à l’après-midi d’un faune et Le sacre du printemps. Exceptionnellement, les 92 musiciens de l’Orchestre symphonique des jeunes de Montréal s’ajoutaient aux treize danseurs de la compagnie pour interpréter en direct la musique de Debussy et de Stravinski. Alors que les musiciens ont l’habitude de jouer dans la fosse d’orchestre, Marie Chouinard a plutôt choisi de les placer directement sur scène, à l’arrière des danseurs. La collaboration entre la danse et la musique se faisait donc de manière encore plus symbiotique qu’à l’habitude.
En première partie, la danseuse Carol Prieur interprétait le Prélude à l’après-midi d’un faune, un solo créé et dansé par Marie Chouinard en 1987. Il s’agit d’ailleurs du premier solo de sa carrière que la chorégraphe a dû transmettre à une autre interprète, ce qui a mené à la création de la rétrospective des Solos 1978-1998 présentée il y a un peu moins de vingt ans. Pour donner corps au personnage du faune, Marie Chouinard s’est inspirée de photographies de la version de l’œuvre qu’avait créée en 1912 Vaslev Nijinski, le célèbre chorégraphe des ballets russes.
Après vingt ans au sein de la compagnie Marie Chouinard, Carol Prieur a acquis une prestance et une virtuosité impressionnante. Les costumes conçus par Marie Chouinard et Louis Montpetit et les maquillages de Jacques Lee Pelletier permettaient à la danseuse aux allures androgynes de se fondre dans son personnage de faune. Constamment de profil, la danseuse multipliait les mouvements de bras et les pas secs qui rappelaient ceux d’un cheval. L’une des cornes sur sa tête se détachait à l’occasion pour se transformer en phallus en érection. Sa respiration haletante ponctuait la mélodie, magnifiquement interprétée par l’Orchestre des jeunes de Montréal. Dès les premières notes du solo de flûte qui amorce cette grande œuvre du répertoire, le public a été plongé dans une atmosphère sacrée qui appelait le recueillement et la contemplation. Seule la pluie de confettis qui clôturait la chorégraphie est venue briser la magie du moment.
La seconde partie de la soirée était dédiée au Sacre du printemps, qui rassemblait, en plus de Carol Prieur, douze autres interprètes de la Compagnie Marie Chouinard. Plutôt que de se servir du livret de Stravinski, Marie Chouinard a choisi de consacrer l’apparition de la vie et de célébrer la nature. Elle considère que l’histoire originale, qui raconte le sacrifice d’une femme pour marquer l’arrivée du printemps, est machiste et trop ancienne. La pièce s’ouvrait par un long préambule lors duquel les danseurs rampaient au sol, alors que des bruits, ressemblant à ceux de craies frottées par terre, suffisaient à constituer le fond sonore inquiétant d’une forêt. Un solo de basson un peu hésitant s’est fait entendre, puis les autres instruments se sont ajoutés. La partition de Stravinski pose des difficultés importantes dans son interprétation, notamment à cause des nombreux solos qui placent plusieurs instrumentistes dans une position de fragilité. Voilà peut-être pourquoi certains passages manquaient de justesse et laissaient entrevoir le niveau variable des instrumentistes de 13 à 25 ans.
Marie Chouinard a conçu sa chorégraphie du Sacre du printemps autour de solos dansés, ce qui dotait chacun des interprètes d’une partition individuelle. Les éclairages renforçaient cette impression en isolant les danseurs – parfois des duos de danseurs – dans des cercles de lumière projetés sur le sol. Possédant tous une solide formation en danse classique, les danseurs alliaient la flexibilité et la force musculaire avec une apparente facilité.
Marie Chouinard est l’une des rares chorégraphes québécoises à connaître une reconnaissance aussi durable. La plupart de ses œuvres continuent à tourner à travers le monde devant un public sans cesse renouvelé. Prélude pour l’après-midi d’un faune et Le sacre du printemps sont d’ailleurs repris chaque année depuis leur création. À voir la réaction enthousiaste du public et la force des applaudissements à la fin du spectacle, force est de constater que la parole de Chouinard est encore aussi pertinente et appréciée aujourd’hui qu’il y a trente ans.