Icône de la scène internationale contemporaine, la Flamande Anne Teresa De Keersmaeker vient présenter l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre à Montréal. Créée en 2001 sur la musique tonique de Steve Reich et désormais inscrite au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris, Rain livre la quintessence de son génie chorégraphique et de son intelligence musicale. On y retrouve ses infinies variations de motifs vifs répétés à l’envi. Ses formes mathématiques qui déploient des rosaces dans l’espace devenu terrain de jeux. Ses 10 danseurs tracent le mouvement incessant de la vie sous de doux éclairages. L’immense rideau de cordes qui s’étire derrière eux renforce l’image de paysage animé que leur danse puissante mais néanmoins naturelle fait naître entre tensions et relâchements, accélérations vertigineuses et arrêts brusques. Une oeuvre électrisante, hypnotique, jubilatoire. Exaltant.
Scénographie et lumières Jan Versweyveld
Costumes Dries Van Noten
Première 10 janvier 2001, La Monnaie (Bruxelles)
Durée 1h10
Tarif : à partir de 36,50$
Rencontre post-spectacle avec les artistes
Vendredi 5 mai 2017
Production 2001 Rosas & La Monnaie (Bruxelles)
Coproduction 2016 La Monnaie (Bruxelles), Sadler’s Wells (Londres), Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
Section vidéo
Il y a des œuvres que l’on aborde avec un mélange d’excitation et d’humilité. C’est le cas de Rain, d’Anne Teresa de Kersmaeker. Considérée comme l’une des pièces phares de la chorégraphe flamande, cette création pour dix danseurs s’est forgé une réputation d’œuvre culte depuis sa création au Théâtre royal de la Monnaie à Bruxelles, en 2001. Pour quelques dates, Rain a fait escale au Théâtre Maisonneuve de la Place des arts, pour notre plus grand plaisir.
En ce printemps montréalais si avare en soleil, on aurait pu craindre d’une pièce baptisée Rain qu’elle colle à la grisaille ambiante. Bien au contraire, c’est à une explosion de joie, de vie et de couleurs que nous invite la grande dame de la danse contemporaine Anne Teresa de Kersmaeker. Sur le plateau, la pluie est pourtant représentée. Ce sont ces centaines de cordons argentés, suspendus bien serrés en arc de cercle qui délimitent l’espace scénique. Les interprètes de sa compagnie Rosas, trois danseurs et sept danseuses issus de la nouvelle génération, effleurent ce rideau de scène semi-opaque avant de se lancer dans des traversées et rondes à toute allure. Les marches et les courses sont d’ailleurs les piliers de cette pièce d’une heure dix sans aucun temps mort.
Très vite, on comprend pourquoi Rain a acquis ce statut d’œuvre majeure. Les danseurs, aux courbes sublimées par les costumes fluides du styliste belge Dries Van Noten, se déploient de façon aérienne sur le plateau. Les lignes n’ont de cesse de se briser, dans un usage permanent du contrepoint qu’affectionne Anne Teresa de Kersmaeker, si bien qu’il est quasiment impossible de porter un même regard sur les dix interprètes lorsqu’ils sont tous en scène. Mais il suffit d’un battement de cil (ou de jambe, en l’occurrence) pour que deux corps qu’on pensait autonomes se synchronisent subitement d’un bout à l’autre de la scène, pour qu’un trio s’écarte de l’ensemble pour un passage au sol ou un porté, pour qu’un seul danseur prenne la lumière avant de rejoindre une spirale ou une phrase chorégraphique en canon.
Loin d’être un simple accompagnement musical, Music for 18 musicians – également considérée comme l’une des œuvres majeures de son créateur, le compositeur américain Steve Reich – est la deuxième moitié du tout que forme Rain. À partir d’une pulsation initiale créée par des xylophones, la mélodie s’étoffe de violons et violoncelles, de pianos et clarinettes dans un ensemble vivifiant. Le résultat étant une harmonie parfaite entre la danse et la musique, indépendantes, mais complémentaires, où l’une ne prend jamais le pas sur l’autre. Les éclairages de Jan Versweyveld se mettent bien souvent au diapason de cette énergie commune, en modulant les vêtements des danseurs, qui troquent d’ailleurs au milieu du spectacle les tons nude pour une palette de roses éclatants, ou en nimbant soudainement le plateau d’une lumière fuchsia.
Mais une œuvre ayant suscité une telle attente chez l’auteure de ces lignes ne pouvait s’en tirer sans une petite réserve : l’effet visuel est si fort, lorsque les danseurs s’élancent du fond vers l’avant de la scène en traversant le rideau de pluie, que l’on aurait aimé voir cet élément central de la scénographie plus exploité. Quant à la précision chirurgicale de l’écriture de Kersmaeker, elle n’aura pas été pleinement mise en valeur le soir de la première, un des danseurs masculins ayant systématiquement un quart de temps d’avance ou de retard sur le reste du groupe. Un léger bémol que l’on pardonnera bien volontiers face au plaisir éprouvé devant ce Rain éblouissant.