Dans le huis clos de leur chambre, trois femmes incarnent la complexité de cette antihéroïne du 19e siècle, qui a valu à l’auteur un procès pour outrage aux mœurs. Elles sont à la recherche des événements qui ont renversé le cours de leur existence et les ont précipitées dans un abyme de désillusion, de perte de sens et d’idéalisme, en pensant pallier ce qui manquait à leur bonheur. Au final, la fiction sera la seule source de distraction qui leur restera encore pour s’émanciper de la banalité terne de leur quotidien.
Inspiré du roman Madame Bovary de Gustave Flaubert
Adaptation scénique, texte et mise en scène Valéry Drapeau
Interprétation Juliandrée Bourque, Daphnée Côté-Hallé et Katrine Duhaime
Crédits supplémentaires et autres informations
Scénographie Claire Renaud
Costume Manon Guirand assistée de Justine Bernier-Blanchette
Lumières Nicola Dubois
Montage sonore Vincent Roberge
Durée 1h10
Tarif 20$, billets en ligne et à la porte
Une production Une (autre) compagnie de théatre
Difficile de croire qu’un personnage romanesque créé il y a plus d’un siècle et demi puisse connaître les mêmes tourments que plusieurs dans notre société actuelle. Le célèbre auteur Flaubert n’était peut-être pas si loin de la vérité concernant le mal-être des femmes de son époque, obligées au conformisme… Du moins, c’est ce dont Valéry Drapeau, auteure et metteure en scène de cette adaptation scénique de Madame Bovary, semble vouloir nous convaincre. Ainsi, présentée du 30 août au 2 septembre 2017, dans l’enceinte du Salon Particulier, la troisième création d’Une (autre) compagnie de théâtre, Emma B., nous transporte dans un univers complètement surréaliste qui dépeint, toutefois, une réalité des plus authentiques. Centré sur cette héroïne du romantisme, le texte expose trois femmes de temps différents, répondant toutes au nom de « Madame Bovary », qui cherchent désespérément la cause de leur malheur commun.
D’abord, il y a cette Emma, jeune paysanne, qui rêve que son futur de femme mariée ressemble à celui des protagonistes des romans d’amour avec lesquels elle se divertit. Campée par une Daphnée Côté-Hallée totalement investie dans son rôle, la future épouse Bovary nous est montrée légère, insouciance, complètement adorable ! Alliant regards et tons comiques, la comédienne ne manque pas de faire honneur au texte de sa complice tout comme ses partenaires de jeu. Ponctué de remarques d’une naïveté à s’en laisser séduire, l’équilibre entre le lyrisme et la fantaisie du genre romantique est apprécié. Comme quoi, la poésie d’un texte dramatique peut traiter de banalités pouvant, malgré tout, devenir divertissantes si chaque interprète y met de son énergie propre.
Néanmoins, la dure réalité de madame nous rattrape lorsqu’une fois liée à son mari, celle-ci, se présente plus réservée et distante par rapport à ses émotions. Attriquée d’une tenue assez singulière comparée aux deux autres, Katherine Duhaime incarne cette Emma avec aplomb en accentuant l’égocentrisme du personnage, sans pour autant la débarrasser de ses ressentiments démesurés. Par-dessus tout désireuse de l’élite, cette dernière revit, sous nos yeux, une soirée dansante qui démontre bien le travail de Vincent Roberge à la conception sonore et au montage. En complémentarité avec les éclairages de Nicolas Dubois, la musique choisie, allant d’un genre plus classique à un succès du groupe suédois ABBA qui donne lieu à une scène particulièrement amusante, se colle parfaitement au niveau de tension plus ou moins élevé de chaque instant, tel un film au cinéma. Quelle belle façon de nous transporter dans l’évolution émotive d’une femme prisonnière de sa condition de vie obligée tout en faisant ressortir le caractère intemporel de cette situation qui, prise sous un certain angle, peut s’avérer toujours actuelle ! Ainsi, on se réjouit de voir une pièce dénoncer un si lourd constat sans en refroidir le plaisir du spectateur par un ton moralisateur souvent plus dramatique.
Puis, c’est une Emma davantage menue et cernée qui complète le trio. Toujours en parfait contrôle de son jeu qui se veut naturellement plus posé, Juliandrée Bourque incarne la « femme Bovary », désormais moins vigoureuse, qui se laisse tranquillement abattre par la dépression. Plus sage que ses égales au début, elle révèle, toutefois, un esprit malade et suicidaire vers la fin, témoignant du talent de son interprète. Aussi, à la différence des deux autres Emma, celle-ci semble avoir perdu tout goût de se soigner pour plaire. À ce propos, les costumes de Manon Guiraud, malgré leur simplicité, en viennent à être extravagants dans un décor où le blanc s’étend à la grandeur. Tant le mobilier que les différents styles de tapisserie qui recouvrent le sol comme les murs suggèrent à merveille la vie monotone d’Emma tout en laissant, aux trois femmes, la liberté de recréer, elles-mêmes, leur époque dans un espace commun. En voilà, donc, une manière originale de prouver que l’équipe de production excelle dans l’art de montrer un contexte absurde dont l’illusion d’un rationnel plausible est surprenante!
Emma B. paraît de toute évidence énoncer une volonté d’abolir toutes formes de standardisation. À l’aube d’une ère où le changement semble possible, cette adaptation théâtrale de Madame Bovary, signée par Valérie Drapeau, arrive à point nommé pour dénoncer cette norme trop souvent considérée comme absolue partout dans le monde. Devant l’excellence de cette pièce, il est à souhaiter qu’Emma B puisse s’évader du Salon Particulier et avoir toute l’attention qu’elle mérite!