Une histoire de la danse à lui tout seul ! Le Finlandais Tero Saarinen, par ses créations et ses collaborations, ne cesse de montrer le corps dans tous ses états. Breath apporte une nouvelle preuve de son génie chorégraphique. Une danse comme un souffle de vie.
On ne peut rêver plus beau parcours que celui de Tero Saarinen. Interprète du Ballet national de Finlande, chorégraphe d’une quarantaine de pièces, il enseigne ou collabore avec quelques-unes des compagnies les plus en vue (de la Batsheva Dance Company au Ballet de l’Opéra de Lyon). Celui qui enchanta le public avec HUNT, son solo sur Le Sacre du printemps de Stravinski, ose un duo, Breath, avec l’accordéoniste Kimmo Pohjonen. Un dialogue entre danse et musique dans un habillage visuel du plus bel effet signé Mikki Kunttu. « Danser, c’est ma tentative de comprendre la nature humaine et ses multiples manifestations, aime à dire Saarinen. Je crois en une danse qui touche, une danse qui parle pour elle-même. » Breath devrait être placée sous l’influence de l’humour absurde de Samuel Beckett. Le grand auteur ne disait-il pas : « Danser d’abord et penser ensuite ? […] C’est d’ailleurs l’ordre naturel. » À sa manière, une gestuelle d’une rare générosité, Tero Saarinen fait siennes ces paroles. Et nous offre, le temps de Breath, un souffle venu du Nord.
Concept Tero Saarinen & Kimmo Pohjonen
Chorégraphie et danse Tero Saarinen
Crédits supplémentaires et autres informations
Musique Kimmo Pohjonen
Éclairages et scénographie Mikki Kunttu
Costumes Teemu Muurimäki
Conception sonore Tuomas Norvio
Assistants au chorégraphe Henrikki Heikkilä.
Durée 1h
Tarifs à partir de 34$
Rencontre avec les artistes 18 et 20 avril 2018
Production Tero Saarinen Company
Dans le cadre du festival Printemps nordique, à la Place des arts, les artistes finlandais Tero Saarinen et Kimmo Pohjonen ont été invités à réfléchir à ce qui caractérise les cultures nordiques. Peut-on retrouver des éléments communs dans l’esthétique des œuvres créées par des chorégraphes russes, scandinaves ou canadiens par exemple ? L’immensité du territoire, l’importance de la nature, l’alternance des saisons et la lumière particulière du Nord ont-elles un effet sur l’imaginaire des créateurs ?
La réputation du chorégraphe Tero Saarinen n’est plus à faire, puisque plusieurs de ses œuvres font partie du répertoire de grandes compagnies, comme le Nederlands Dans Theater, la Bastsheva Dance Company, le Ballet national de Marseille ou le Ballet national de Finlande. Certaines de ces troupes sont d’ailleurs passées par Montréal au cours des dernières années pour venir y présenter leur travail. C’est toutefois en Chine que Saarinen a fait la connaissance de l’accordéoniste-performeur Kimmo Pohjonen – présenté à juste titre dans les prépapiers comme « le Jimi Hendrix et la Björk de son instrument » –, avec qui il a participé à un festival en plein air faisant honneur à la ville d’Helsinki. Devant la compatibilité de leurs univers respectifs, les deux artistes ont créé ensemble le spectacle Breath, présenté en première mondiale à Québec, puis à Montréal.
Pour encadrer ce duo déjanté, le scénographe Mikki Kunttu a conçu une scène en forme de V éclairée par des stroboscopes et des lumières très crues. Alors que les couleurs vives des éclairages rappellent d’abord des aurores boréales, ce dégradé de couleurs fait rapidement place à des tons de bleu, de rouge et de blanc. Un blanc aseptisé de laboratoire médical. Les deux performeurs entrent en scène habillés d’une combinaison blanche futuriste qui rappelle celles des cosmonautes ou encore celles protégeant des radiations nucléaires. Tout au long du premier tableau du spectacle, Saarinen se déplace à l’horizontal sur les parois de la scène, comme s’il défiait la gravité, pendant que Pohjonen semble cloué au sol par le poids trop lourd de son corps.
Lorsque Pohjonen revient sur scène avec son accordéon, qu’il a personnellement modifié, voire patenté pour lui permettre de modifier la sonorité de son instrument ou encore d’activer des fichiers MIDI, le spectacle prend des allures qui rappellent les cartoons. Les cris nasillards poussés par Saarinen font d’ailleurs penser à la voix du Donald Duck de Disney. La musique composée par Tuomas Norvio donne également un aspect très cinématographique au spectacle. Ce ludisme assumé ajoute un humour à la représentation qui s’apparente parfois à celui de Beckett, de qui Pohjonen se réclame ouvertement.
Alors que la représentation progresse, l’influence de la performance se fait moins présente pour pencher davantage vers une esthétique plus poétique influencée par le butō, les arts martiaux et même le ballet classique. Dans une magnifique scène du spectacle, Pohonen danse avec un tissu blanc alors que la salle est plongée dans une noirceur totale qui rappelle les mois de nuit constante dans certains pays nordiques. Des flashs de lumière décomposent ses gestes, que l’œil du spectateur perçoit comme une série de poses arrêtées dont il ne peut que deviner le mouvement. Ajoutons que bien que les deux interprètes occupent des espaces très distincts de la scène durant la majeure partie de la chorégraphie, la fin du spectacle donne lieu à une proximité des corps empreinte d’une grande tendresse. Enlaçant son partenaire et épousant la forme de son corps, Pohonen se laisse porter par les respirations de l’accordéon dont le son se fait de plus en plus mélodieux.
Breath est un spectacle qui entraine le spectateur en terrain hostile, certes. Mais tranquillement, l’ambiance psychédélique, angoissante au premier abord, fait place à la découverte d’un univers intrigant et déstabilisant qui permet d’apprivoiser des esthétiques nouvelles.