Une traversée de la scène et du monde : tel pourrait être le défi de Soft virtuosity, still humid, on the edge. Marie Chouinard explore la déambulation qui, chez elle, peut prendre l’allure d’une course ou d’un ralenti, d’un baiser ou d’une étreinte, d’une marche sur pointes ou rampante. Tout Chouinard ou presque dans une fresque fascinante. L’apport de la vidéo, qui démultiplie les corps et les visages à l’infini, entraîne cet opus majeur dans un dédale de visions. L’œuvre de Marie Chouinard ose le grand écart permanent – en témoigne Le Cri du monde, pièce antérieure. Étude sur le morcellement morphologique, cette chorégraphie part de l’architectur
Crédits supplémentaires et autres informations
Durée 1h50
Rencontre avec les artistes 27 septembre
Tarifs de 43.98$ à 74.80$
Soft virtuosity, still humid, on the edge
Créé au COLOURS – INTERNATIONAL DANCE FESTIVAL, Theaterhaus, Stuttgart, Allemagne, le 26 juin 2015*
Chorégraphie et vidéo Marie Chouinard.
Interprètes Charles Cardin-Bourbeau, Sébastien Cossette-Masse, Catherine Dagenais-Savard, Valeria Galluccio, Motrya Kozbur, Morgane Le Tiec, Scott McCabe, Sacha Ouellette-Deguire, Carol Prieur, Clémentine Schindler.
Musique originale Louis Dufort.
Scénographie et accessoires Marie Chouinard.
Lumières Marie Chouinard, Robin Kittel-Ouimet.
Costumes Marie Chouinard.
Consultant vidéo Jimmy Lakatos.
*Interprètes lors de la première mondiale Sébastien Cossette-Masse, Paige Culley, Valeria Galluccio, Leon Kupferschmid, Lucy M. May, Mariusz Ostrowski, Sacha Ouellette-Deguire, Carol Prieur, James Viveiros, Megan Walbaum.
Une production de la COMPAGNIE MARIE CHOUINARD, en coproduction avec COLOURS – INTERNATIONAL DANCE FESTIVAL (Stuttgart, Allemagne), avec l’appui du Festival international de danse ImPulsTanz (Vienne, Autriche).
Le Cri du monde
Créé au Premiere Dance Theatre, Toronto, Canada, le 21 mars 2000*
Chorégraphie et direction artistique Marie Chouinard.
Musique originale Louis Dufort.
Interprètes Charles Cardin-Bourbeau, Sébastien Cossette-Masse, Catherine Dagenais-Savard, Valeria Galluccio, Motrya Kozbur, Morgane Le Tiec, Scott McCabe, Sacha Ouellette-Deguire, Carol Prieur, Clémentine Schindler.
Lumières Axel Morgenthaler.
Costumes Liz Vandal.
Maquillage Jacques-Lee Pelletier, Liz Vandal.
*Interprètes lors de la première mondiale Kirsten Andersen, Elijah Brown, Julio Cesar Hong, Sandrine Lafond, Carla Maruca, Isabelle Poirier, Luciane Pinto, Carol Prieur, Troy Sellers
Une production de la Compagnie Marie Chouinard en coproduction avec le Centre national des Arts (Ottawa, Canada).
La saison 2017-2018 de Danse Danse débute comme elle avait commencé il y a vingt ans, avec un spectacle de Marie Chouinard. Celle qui avait ouvert la première saison de la compagnie en 1998 y revient pour présenter un programme double : la pièce de répertoire Le cri du monde créée en 2000 et Soft virtuosity, still humid, on the edge,une œuvre datant de 2015. Si les esthétiques des deux œuvres puisent dans des registres très différents, on y retrouve la même virtuosité des danseurs et la même précision dans la chorégraphie. Le collaborateur de longue date de Marie Chouinard, Louis Dufort, signe également la musique originale des deux pièces, qui mélange de l’électroacoustique avec des échantillons de bruits organiques (déglutition, claquement de langues, chuchotements). Mais c’est l’atmosphère oppressante et inquiétante qui lie les deux pièces au programme.
Le cri du monde
Dans la chorégraphie Le cri du monde, Marie Chouinard morcèle les corps des danseurs pour faire ressortir les forces et les tensions qui les habitent. Vêtus d’un pantalon ou d’une culotte noire, les interprètes arborent simplement un morceau d’autocollant (tape) sur le torse ou la poitrine. Chacun de leurs mouvements fait apparaître leurs muscles entraînés et rappelle le contrôle extrême de leur corps. À l’occasion, leurs expressions faciales exacerbées deviennent monstrueuses tant leurs visages sont déformés. Les interprètes semblent parfois se tordre de douleur alors qu’ils miment un cri silencieux dont l’évocation décuple la puissance. Les éclairages oscillent entre une lumière crue — parfois aveuglante — et une obscurité mettant en valeur les silhouettes tordues des danseurs. Tous les éléments du spectacle font en sorte de troubler le spectateur et de le rendre inconfortable.
Soft virtuosity, still humid, on the edge
Figurant parmi les plus récentes chorégraphies du répertoire de Marie Chouinard, Soft virtuosity, still humid, on the edge pousse encore plus loin le travail sur les expressions faciales des danseurs, qui varient entre étonnement, surprise et horreur. La force de leurs pulsions intérieures en vient à transformer leurs visages pour les rendre grimaçants. Grâce à des caméras téléguidées disposées sur le plateau, les visages des danseurs sont projetés sur l’immense écran au fond de la scène. En plus de mettre en évidence la subtilité des transformations des visages, ce procédé permet de créer des tableaux poétiques d’une grande beauté, comme lorsque l’un des interprètes danse en duo avec la projection agrandie de son propre corps.
Marie Chouinard fait également un énorme travail autour du motif de la marche. Dans la scène d’exposition, les interprètes déambulent sur scène en expérimentant différentes manières de se déplacer. Claudiquant, modifiant le rythme de leurs pas, exacerbant de la grâce ou de la maladresse, les danseurs font naître une panoplie de personnages anonymes et éphémères dont certains, très drôles, ont des allures de bandes dessinées. À un autre moment, deux femmes s’assoient ensemble sur un plateau tournant et s’enlacent tendrement tout en exécutant de lents mouvements amples avec leurs jambes et leurs bras avant de s’adonner à des grimaces rappelant les chimères des églises gothiques. Ce tableau est d’ailleurs repris à la fin du spectacle dans son pendant masculin.
Toutefois, le moment fort de Soft virtuosity, still humid, on the edge constitue le tableau central dans lequel les dix danseurs prennent la pose à la manière de certains tableaux de Goya, Brueghel ou Bosch. Rassemblés comme le sont les personnages du Radeau de la Méduse de Géricault, les danseurs bougent à peine alors qu’une caméra balaie leurs visages sur lesquels des expressions apparaissent et disparaissent, dont certaines rappellent une douleur digne de Francis Bacon. Pendant un temps long et éprouvant, Marie Chouinard donne à voir la subtilité de la transformation de ses « personnages » inquiétants. Mentionnons au passage qu’une autre œuvre de la chorégraphe, Jérôme Bosch : le jardin des délices, est présentée ces jours-ci (au moment d’écrire ces lignes) à la Place des arts et explore davantage cette influence picturale de son travail.
Avec Le cri du monde et Soft virtuosity, still humid, on the edge, Marie Chouinard se permet ce que peu de chorégraphes osent se permettre, c’est-à-dire de mettre à mal le public pour lui proposer une expérience marquante, mais très éprouvante. Toutefois, cela ne fait que prouver encore une fois qu’avec son audace et sa sensibilité, Marie Chouinard mérite amplement sa place parmi les chorégraphes les plus importants de la danse contemporaine, ainsi que comme commissaire de la Biennale de Venise (2017-2020).