XENOS d’Akram Khan est une épopée en mouvement : interrogeant l’histoire et notre mémoire, le chorégraphe et danseur se demande s’il est possible d’apprendre de nos erreurs. Akram Khan, accompagné par cinq musiciens live, est au sommet de son art.

Qui a vu Akram Khan sur scène sait à quel point il y est à sa juste place. Fort de cette double culture de classique indien Kathak et de danse contemporaine, Khan est prodigieux de virtuosité. De ma au récent Until the Lions, Akram Khan soulève l’enthousiasme des foules ici et ailleurs. Dans XENOS – qui signifie « étranger » en grec – on retrouve l’interprète et le chorégraphe, double plaisir. Il plonge corps et âme dans l’histoire de la Première Guerre mondiale à travers la figure d’un soldat de l’Inde coloniale. La condition humaine dans toute sa beauté et son horreur. Akram Khan, avec notamment l’auteur canadien Jordan Tannahill, fait sienne la grande Histoire. Plus que jamais, il est ce danseur incandescent embrasant les plateaux. « Qu’est-ce qui nous rend humains ? », se questionne-t-il. Et finalement, il se jette dans la bataille. Puissant.

Mise en scène, chorégraphie, interprétation Akram Khan

Avec son nouveau spectacle présenté cet hiver au Théâtre Maisonneuve, Akram Khan performe le dernier solo de sa carrière de danseur. Signifiant « étranger » en grec, XENOS raconte l’histoire des cipayes, des Indiens forcés à combattre pour une armée occidentale pendant l’époque coloniale.

Crédit photo Jean-Louis Fernandez


Crédit photo Tristram Kenton

À la source de l’inspiration du spectacle, la scénographie élaborée par Mirella Weingarten évoque une immense montagne traversée par un grand nombre de cordes de marin. Au plafond, une ligne d’ampoules laisse planer une lumière tamisée que des courts-circuits fréquents viennent assombrir. Akram Khan entre en scène pieds nus, habillé d’une tunique blanc cassé et de ghungroos, des cloches métalliques accrochées à ses chevilles. On reconnaît son style bien à lui, à mi-chemin entre le kathak et la danse contemporaine, alors que des mouvements rapides se conjuguent avec des frappes de pieds rythmés.

À travers son corps parfois fort, mais souvent vulnérable, ce sont les milliers d’hommes non occidentaux recrutés par l’Empire britannique qui prennent vie.

Le chorégraphe a l’habitude de s’attaquer à des récits mythologiques (Until The Lion) ou aux maux de son époque (Vertical Road). XENOS témoigne particulièrement bien de ce regard aiguisé qui fait la force des chorégraphies d’Akram Khan. À travers son corps parfois fort, mais souvent vulnérable, ce sont les milliers d’hommes non occidentaux recrutés par l’Empire britannique qui prennent vie. À mesure que le spectacle progresse, le danseur grimpe, tombe, s’aide des cordes, dégringole, se reprend. La danse se fait plus saccadée, plus difficile. En voix hors champ, des noms de morts anonymes sont récités ainsi que des fragments narratifs écrits par l’auteur canadien Jordan Tannahill qui ancrent la pièce dans le contexte de la Première Guerre mondiale.

L’univers sonore créé par Vincenzo Lamagna mélange des morceaux de musique indienne, un chant de guerre et le Requiem de Mozart. À des moments clés du spectacle, cinq musiciens – un vocaliste, un percussionniste, un violoniste, un saxophoniste et un bassiste – apparaissent juchés en haut de la montagne, éclairés par les lumières chaudes de Michael Hulls. Ils prennent des allures célestes lorsqu’ils observent le danseur se démener sur scène, incarnant un homme qui rappelle à la fois le mythe de Prométhée et le soldat inconnu.

Akran Khan apparaît au sommet de sa forme avec XENOS, un spectacle aussi fort au niveau de la pertinence de son propos et des événements historiques qu’il met en relief que du point de vue de son exécution technique sans faille. Rares sont les interprètes qui présentent une présence en scène si incarnée. Grâce au pouvoir de l’évocation, Khan transporte le public dans un autre temps et un autre lieu le temps de 70 minutes que l’on aurait désirées plus longues.