Un homme, un Enfant des Routes, s’installe devant une église et commence à jouer de la guitare. Lorsqu’il arrête, commence alors un questionnement d’importance : doit-il se sédentariser ou poursuivre dans la voie du nomadisme ? Afin de tenter de trouver réponse à ce dilemme lourd de conséquences, il racontera quelques histoires et légendes, des récits représentatifs de son passé et de sa culture : un conte poétique et musical qui image l’incident qui a fait de son peuple des nomades; un conte merveilleux de transformation animalière - omniprésent dans les légendes tsiganes - ; une histoire sur les différences et les préjugés entre gadjé et les Enfants des Routes; une légende sur la création de la guitare en lien avec l’importance de la musique pour ces gens; une dernière histoire bâtie sous forme d’une chanson qui imagera la fin prophétique des Enfants des Routes.
Inspirée des contes merveilleux et instructifs du peuple tsigane, cette création est un écho à cette culture ancestrale constamment menacée au profit du mode de vie sédentaire et moderne. La croisée des chemins, deuxième volet d’un triptyque sur la culture tsigane entamé en 2010 avec L’Apprentie, est une pièce à un comédien-conteur-musicien qui s’adresse aux enfants de 8 et plus. À travers une poésie des mots, une musique enveloppante et une proximité du conteur interprété par Carl Veilleux, cette pièce guide les jeunes spectateurs dans un voyage initiatique parfois comique, parfois dur et sans détour et qui remet en question les valeurs propres à deux solitudes : les gadjé et les gens du voyage.
Scénographie : Véronique Poirier
Direction musicale et éclairages :
Maxime da Silva
Costumes et accessoires : Emie Gagnon
11, 18 mars, 19h
12, 26 mars 15h et 19h
13, 19, 20, 27 mars 15h
Entrée:
15$ pour les adultes
10$ pour les enfants
Une création Terra Incognita
L'Illusion, Théâtre de marionnettes
783, rue de Bienville
Billetterie : 514 923-7292 ou gagnon.terra.incognita@gmail.com
par Marie-Pierre Bouchard
Un environnement scénique dans sa plus simple expression: un plateau rappelant une rue d’une ville européenne grâce à un décor minimaliste évoquant une quelconque façade de pierre percée d’un vitrail coloré. Des accessoires réduits à l’essentiel: une chaise bancale, une guitare, un chapeau. Un éclairage sobre, mais chaleureux. Et un comédien troubadour qui passe du jeu au conte, puis du récit à la chanson, au gré de ses questionnements.
Car tout se trouve dans le texte et dans la performance empreinte d’humilité de Carl Veilleux, investi avec sincérité dans son rôle de jeune Tzigane tiraillé entre le désir de se sédentariser et celui de poursuivre son chemin, comme ses ancêtres avant lui. Il faut le voir captiver le jeune public - pourtant habitué à l’éclat de la couleur, du mouvement et du dialogue - avec son regard intense, qui pénètre un à un celui des spectateurs, avec douceur et conviction. La guitare classique, dans ses mains, devient un personnage à part entière. Tantôt elle murmure, tantôt elle pleure, puis questionne, puis chante, sans artifice et sans envolée lyrique.
En l’absence de procédés scéniques, le rythme ne peut être soutenu que par l’assurance du comédien (assurance qui fut momentanément ébranlée lors des rares moments où le monologue s’est bousculé dans sa bouche). Avec aisance, celui-ci incarne tour à tour les personnages et les dialogues peuplant ses légendes, qu’il s’agisse d’hommes, de femmes ou de créatures imaginaires.
Par ailleurs, le texte de Nicola Cormier ne tombe jamais dans le piège de la psycho-pop ou de la pédagogie. L’auteur cherche ici à conscientiser son public à propos de la vague notion de liberté, du matérialisme excessif, des préjugés néfastes, de la perte de traditions. Dans la plus pure tradition du conte et de la légende, il fait toutefois le choix judicieux de mettre en scène un jeune homme capable de garder la tête froide, qui se permet lui-même de démystifier certaines croyances, qui au fond n’existent que pour transmettre le message qu’elles portent. Et comme il l’explique au cours de sa quête, c’est paradoxalement cette perte de croyance qui tend à sédentariser son peuple...
La force du texte de Cormier réside dans son respect du code narratif du genre, tout en l’adaptant subtilement afin de lui injecter une fine dose de modernité. Cette approche contribue à rendre le spectacle accessible aux jeunes, sans pour autant en dénaturer l’essence traditionnelle et sans infantiliser l’auditoire, bien au contraire. Il en résulte un savant dosage de gravité, d’histoire, de fantastique et d’humour, le tout avec une franchise et une honnêteté qui méritent d’être soulignées.
Pendant une cinquantaine de minutes, on a donc droit à un enchaînement de plusieurs courts récits, chacune abordant un aspect des valeurs véhiculées par les peuples nomades. Il s’agit là d’un terrain glissant où il est facile de déraper et de s’éparpiller, pourtant, La croisée des chemins relève le défi. Les questions, souvent sans réponses, sèment simplement des graines de conscience dans la tête des enfants, par le biais d’images poétiques: une vieille Enfant des routes qui donne son corps à un hérisson une nuit au clair de lune; une femme trop belle que l’on prenait pour une sorcière en raison de la couleur de sa peau et de sa sensuelle manière de danser; et la savoureuse légende relatant l’origine de la guitare, qui vient conforter le conteur troubadour qui réalise que la musique, universelle, rassembleuse et pacificatrice, justifie sa place dans le monde.
La croisée des chemins n’est pas un spectacle qui révolutionne quoi que ce soit, on s’en doute. On n’y fait pas tomber de tabou, on ne déstabilise pas, on ne crée pas de boule dans l’estomac. Mais c’est néanmoins un spectacle riche et rempli d’espoir, qui touche les enfants au coeur de cette conscience qui s’éveille en eux et qui les sensibilise à l’histoire et aux valeurs de partage et de paix. Lorsque c’est bien fait, le message passe...