Nini Bélanger est metteure en scène. Pascal Brullemans est auteur dramatique. Dans la vie, ils forment un couple. Ensemble, ils ont aussi perdu un enfant. Une petite fille dont Beauté, chaleur et mort retrace les jours, de la naissance au décès. Cette expérience limite à laquelle ils ont été confrontés en janvier 2001, ils ont choisi de la transposer à la scène des années plus tard. Les deux créateurs s’en sont servi pour alimenter leur méditation sur ce qu’est l’art dramatique, ce qu’on peut y dire, ce que l’on peut y représenter et de quelle manière il est possible de le faire.
Cette pièce fait donc entrer le spectateur dans une zone trouble. On l’invite à pénétrer dans l’intimité d’un homme et d’une femme à un moment particulièrement marquant de leur existence. Ce ne sont pas des personnages, au sens traditionnel du terme, qui racontent cette histoire, mais la famille même qui a été happée par l’événement.
Mais le malheur a beau frapper à la porte, l’expérience à laquelle Bélanger et Brullemans convient le spectateur n’en est pas pour autant dénuée de chaleur et de lumière. Elle suppose aussi un temps d’arrêt à une époque où tout va trop vite.
« Notre consommation d’informations et d’expériences est prodigieuse, expliquent les créateurs. Nos passions, comme nos indignations, sont fulgurantes, puis nous glissons rapidement vers autre chose. La douleur, elle, reste la même. Lancinante et persistante. Son épreuve laisse des traces que nous ne prenons plus le temps d’observer. Nous la taisons ou l’anesthésions. Il revient alors aux créateurs de trouver le chemin pour dévoiler cette part d’ombre que nous occultons. »
Voici une démarche artistique où les artistes se mettent en danger et exhibent une vulnérabilité qui n’est pas feinte. Comme ni l’un ni l’autre n’ont de formation en jeu, le danger est d’autant plus vertigineux. Ici, le théâtre sert au bout du compte à témoigner d’une expérience qui échappe aux mots. C’est surtout un retour sur le deuil qui dit l’urgence de vivre intensément chaque moment et l’importance de continuer à aimer en dépit de l’adversité. Du moins, est-ce ce qu’a décidé de retenir ce couple d’artistes en portant à la scène cet épisode ébranlant de leur vie privée.
En somme, cette création issue d’une réalité douloureuse donne à voir tant l’impossibilité de guérir du deuil d’un être cher que l’étonnement de voir la vie reprendre ses droits. Au cours de ce spectacle, l’humour se mêle à la détresse, le pudique et l’impudique sont relativisés en même temps que les frontières entre le théâtre et la réalité sont brouillées. On en sort désorienté.
Outre cette création marquante, Nini Bélanger a aussi offert au public Endormi(e) (2009) d’après le roman Les belles endormies de l’écrivain japonais Yasunari Kawabata où elle instaurait pour la première fois l’hyperréalisme qui lui tient à cœur.
De son côté, Pascal Brullemans poursuit une œuvre dramatique à l’écoute du vivant en collaborant notamment avec Éric Jean (Camélias, 2002 et Hippocampe, 2005) et le Théâtre Le Clou (Isberg, 2009) dont les productions s’adressent aux adolescents. Les auteurs et interprètes de Beauté, chaleur et mort viennent aussi de présenter Vipérine aux Écuries, projet destiné au jeune public, dans lequel ils mettent à l’épreuve, cette fois, ce qu’il est possible de montrer et de raconter aux enfants. On s’y demande notamment comment il est possible de survivre à la douleur.
Bref, d’un bout à l’autre de leur travail, l’âme dirigeante de Projet Mû et son compagnon continuent d’explorer avec audace et conviction les interdits de notre époque. Leurs créations cherchent à trouver ce qui intensifie, bouleverse et, ultimement, modifie la relation avec le spectateur d’aujourd’hui.
Assistance à la mise en scène Manon Claveau
Conception décors, accessoires et costumes Julie Vallée-Léger
Conception lumières David-Alexandre Chabot
Conception sonore Nicolas Letarte
Direction technique Charles Maher
Régie Maude Labonté
Conseillers artistiques Dominique Pétin et Benoît Vermeulen
Photo Patrice Blain
Affiche du spectacle Maxime David
Entretien avec les artistes après la représentation
lundi 28 mai
Tarif : 35$
Production Projet MÛ
Caserne Dalhousie
103, rue Dalhousie
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne
par Odré Simard
C’est un pari à la fois courageux et dangereux qu’ont relevé Nini Bélanger et Pascal Brullemans, gens de théâtre et couple dans la vie, en transposant sur scène la mort de leur enfant à peine arrivé au monde, il y a de ça dix ans passés. Par le biais du Carrefour international de théâtre, nous sommes conviés à une expérience théâtrale qui transcende l’œuvre de fiction, car ce ne sont pas des comédiens qui endossent une histoire quelconque, il s’agit d’un auteur et d’une metteure en scène, sans formation en interprétation, qui porteront ici leur histoire, celle de leur deuil, mais surtout celle de leur vie lors d’un moment bien tragique de leur parcours.
Il s’agit d’une rencontre aux confins de l'intimité d'un couple véritable, doublée d’une réflexion sur les limites du théâtre ainsi que sur la place du spectateur. Nous nous retrouvons dans cet espace complètement redessiné où nous ne sommes plus là pour contempler la mise en scène, juger le jeu des acteurs ou encore apprécier l’inventivité de l’auteur à travers les rebondissements de l’histoire. Non, nous sommes là pour vivre avec eux les réminiscences de cet événement funeste, et ce, à travers une promiscuité qui nous questionne. Sans être une mise en scène à couper le souffle, les images sont efficaces et sensibles. Par contre, nous ne pouvons faire autrement qu’être happés par l’émotion et l’authenticité de ces êtres qui se présentent devant nous, dans toute leur vulnérabilité. Les longueurs que l’on recoupe habituellement lors de pièces plus conventionnelles furent particulièrement les bienvenues ici, puisqu’elles nous donnaient un temps d’arrêt obligé afin de se positionner face à ce moment théâtral que nous savions être une résonnance de la vie dans son plus simple appareil, une naissance et une mort.
Loin d’une pièce-thérapie ou d’un ramassis de témoignages de type documentaire, Beauté, Chaleur et Mort est une œuvre vibrante, avec ce qu’il faut de poésie, d’humour et d’émotion tel un juste portrait de la vie avec un grand V. Les créateurs ont su élever la pièce vers l’ouverture nécessaire afin que nous puissions tous nous fondre à leur récit le temps d’une soirée qui ne s’effacera pas de sitôt de nos mémoires.
par Olivier Dumas (lors du passage du spectacle à La Chapelle en janvier 2011)
Avec Beauté, chaleur et mort, la compagnie théâtrale Projet MÛ expose la douleur du deuil d’un nouveau-né. Qualifiée d’hyperréalisme par le couple formé dans la vie par Nini Bélanger et Pascal Brullemans au lever du rideau, la pièce brise habilement les frontières entre la fiction et la réalité.
En pénétrant dans la salle du Théâtre La Chapelle, nous voyons sur la scène une famille discutant dans la bonne humeur. Un père, une mère, un adolescent et une fillette font visiblement abstraction des spectateurs qui un à un prennent place. Pendant que les lumières se tamisent, les deux enfants quittent la scène pour les coulisses. L’homme, Pascal Brullemans, s’avance et se présente comme dans le théâtre brechtien. Dramaturge (il a écrit entre autres deux très bonnes pièces présentées au Théâtre de Quat’sous, Corps étrangers et Chasseurs) peu doué pour jouer la comédie (selon ses dires), il raconte le drame vécu par lui et sa conjointe, la metteure en scène Nini Bélanger, qui ont perdu une petite fille peu de temps après sa naissance. D’une durée de 90 minutes, le récit s’amorce sur la conception de la disparue pour se conclure sur l’acceptation de son départ.
En cette époque où la téléréalité occupe le haut du pavé auprès des spectateurs du monde entier, de par son sensationnalisme pervers et son penchant voyeur disséquant les faits les plus abrutissants, la production surprend par son traitement respectueux d’un sujet lourd et délicat. Même si les deux protagonistes dévoilent leur histoire sans fausse pudeur, le propos se révèle éminemment sincère. Un propos qui profite d’une rigueur malgré ses allures de simplicité. Il suffit de quelques passages, comme l’arrivée à la guérite de l’urgence d’un hôpital ou les appels téléphoniques pour une crémation, pour faire comprendre au public la pertinence du travail du Projet MÛ. La sobriété du texte et de la mise en scène s’inscrit parfaitement dans l’esprit de ce «réalisme extrême», sans renier les exigences d’un théâtre que l’on pourrait qualifier de documentaire, évoquant les films de la grande cinéaste québécoise Anne-Claire Poirier.
Quelques accessoires, dont une table de cuisine, un fauteuil et une machine distributrice (qui rejette même à un moment les pièces de monnaie), suffisent pour récréer aussi bien la maison familiale, l’hôpital et le lieu de travail de Pascal Brullemans. Par ailleurs, la conception sonore de Nicolas Letarte surprend toujours par son accentuation des bruits récurrents du quotidien, conférant une dimension encore plus réaliste au propos.
Le soir de la première, il manquait un peu d’assurance au couple pour porter leur témoignage à la dimension émouvante souhaitée. Surtout au début de la représentation, le public perdait certaines répliques de Brullemans en raison d’un léger manque de projection de la voix. Cette même situation s’est reproduite à quelques reprises lors d’échanges sur le ton de la confidence, dialogues qui gagneraient à être plus audibles. Heureusement, la pièce Beauté, chaleur et mort trouve rapidement son rythme et son élan pour témoigner d’une tragédie humaine difficile à oublier.
Bien que certains spectateurs aient toujours des réserves à l’égard de l’approche documentariste au théâtre, cette nouvelle création de Nini Bélanger et Pascal Brullemans saura en toucher plusieurs par la sincérité de la démarche.