« C’est du chinois! », se dit-on devant ce qui résiste à la compréhension. Edit Kaldor, créatrice du spectacle, née en Hongrie, émigrée à l’adolescence aux États-Unis, vivant maintenant à Amsterdam, nous convie à une expérience semblable à celle qu’elle a maintes fois vécue.
C’est du chinois propose d’abord un cours de mandarin. Cinq acteurs, fausse famille de vrais Chinois, investissent la scène, la meublant de leurs cabas d’immigrants remplis de denrées, d’objets quotidiens. Supports à l’enseignement d’abord, ces objets leur permettront bientôt de se raconter, la leçon se transformant vite en récit de vie. Tout cela, sans traduction ni surtitres.
Armés d’une soixantaine de mots de mandarin (pour peu qu’on fasse l’effort d’apprendre…), on se surprend à saisir des bribes de l’histoire et à deviner le reste, l’imagination tentant de remplir les blancs. Renversement insolite : nous, spectateurs, devenons les étrangers, perdus dans la langue de l’autre. Sensation déroutante, idée infime de ce que doit être l’expérience de l’immigrant en sol inconnu.
Après Or Press Escape, présenté au Carrefour en 2004, Edit Kaldor poursuit ici son exploration de la solitude de l’étranger. C’est du chinois, à la fois amusant et touchant, promet rires, connaissances nouvelles, dépaysement. Et propose une rencontre unique, stimulante et profondément humaine.
Durée : 1h30
Tarif régulier : du 32$ à 41$
Foubrac : 23$
Accro : 26,50$
Béguin : 30$
En parallèle
Rencontre avec l'équipe de C'est du chinois, le samedi 8 juin 16h45, sur place
Production Stichting Kata (Amsterdam), Productiehuis Rotterdam (Rotterdamse Schouwburg)
Coproduction Alkantara Festival - Lisbonne – Portugal, KunstenfestivaldesArts - Bruxelles – Belgique, Göteborgs Dans & Teater Festival – Suède, Steirischer Herbst - Graz – Autriche, NXTSTP avec l’aide du programme Culture de l’UE
Méduse, salle Multi
591, rue de Saint-Vallier Est
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne
par Odré Simard
Objet de curiosité, la pièce C’est du chinois des Pays-Bas, mené par Edit Kaldor, vient brouiller la barrière entre réalité et fiction. Cela semble d'ailleurs le mot d'ordre du Carrefour de théâtre cette année avec, entre autres, Ganesh versus the Third Reich, présenté par Back to Back Theatre, et L'homme atlantique (et La maladie de la mort) de Marguerite Duras, monté par Christian Lapointe, qui empruntent aussi cette voie. C’est du chinois nous présente des acteurs qui ne jouent pas des personnages tels que nous sommes habitués et ils ne respectent pas les conventions de la représentation. La « fausse famille de vrais Chinois » arrive par la porte arrière sur une scène vide avec une multitude de sacs. Ils ne parlent que chinois et n'emprunteront jamais un autre langage. Un homme nous présente un petit mot de bienvenue en français en le faisant lire par une spectatrice, en indiquant que, pour que le cours de mandarin se passe bien, il est important de répéter chaque mot après le son du sifflet que nos professeurs feront entendre. Donc, sommes-nous au théâtre ou dans une leçon de langue étrangère?
Les « acteurs » enchaînent la représentation de divers objets (riz, café, boisson gazeuse, chocolat), puis, lorsque nous sommes un peu plus habitués à répéter, ils abordent les « concepts » (aimer, rire, avoir peur, quelque chose qui est bien, quelque chose qui n'est pas bien, etc.). Armés de quelques dizaines de mots, nous percevons au fil de leurs exemples et de leurs phrases simples les relations qui existent dans la famille, les tensions, les rêves et les malheurs. Dans une simplicité attachante, nous apprenons à les connaître. Nous faisons l'expérience de l'exilé dans le confort de notre ville, comme si c'était nous, l'immigrant, devant tout réapprendre pour s'adapter. Si nous n'avons pas la mémoire auditive trop développée, nous nous en voulons de perdre certaines phrases, nous ne pouvons assister à ce spectacle de façon distanciée. Nous devons travailler pour notre compréhension et nous servir de l'imagination pour combler les vides.
Sans scénographie (si ce n'est l'étalage d'objets divers dont la troupe se sert pour le cours), sans travail sur la lumière (même la salle demeure éclairée tout au long de la représentation), sans trame sonore, la pièce d’Edit Kaldor vise simplement la rencontre bien humaine entre individus cherchant à communiquer et à se livrer. Les acteurs assument même leur rôle jusqu'au bout, la pièce ne se terminant pas tout à fait puisqu'ils s'installent à la sortie avec leurs piles de DVD d'apprentissage du mandarin à vendre. Ils ne salueront pas nos applaudissements et nous quittons la salle quelque peu pantois et amusés, assurément peu habitués de partir d'une représentation dans ces conditions. Un beau moment dépaysant.