Un univers froid, désincarné; cinq personnages anonymes, isolés. Trois femmes, deux hommes, jeunes, beaux, branchés, s’exposent sur Facebook, définis par leur profil décliné en ouverture. Puis, à coup de listes d’amis et de références culturelles lancées en énumérations étourdissantes, à travers photos et récits de soirées survoltées, ils racontent leur vie. Mais est-ce bien la leur?
Sur les pages des réseaux sociaux, jusqu’où irait-on pour théâtraliser sa vie? Cinq visages pour Camille Brunelle pose brillamment la question. Attitude étudiée, atmosphère de rivalité, surenchère où le quotidien et la réalité sont modelés pour devenir palpitants, le spectacle présente des personnages obsédés par leur image. C’est à qui sera le plus attirant, le plus audacieux, mais aussi le plus généreux, le plus engagé, ou le plus malheureux, le plus tordu. Sous le règne du superlatif, un seul commandement : fuir la pâleur de la vie ordinaire. Texte percutant, mise en scène précise et rythmée, photos omniprésentes, interprétation aux tons de nonchalance détachée évoquent à la fois l’isolement et le désir frénétique d’attention de jeunes adultes en constante représentation.
Créée en février 2013 dans une mise en scène de Claude Poissant, la pièce du jeune auteur Guillaume Corbeil a reçu le Prix 2012-2013 du texte original de l’AQCT (Montréal) et le Prix Michel-Tremblay 2013 de la Fondation du CEAD. Présenté en novembre dernier au Festival Primeurs, en Allemagne, le spectacle y a remporté le Prix du public. Et pour cause. Regard incisif et pertinent sur les mutations qui s’opèrent dans les modes de communication et, peut-être aussi, dans les relations interpersonnelles, tableau sombre du monde moderne, Cinq visages pour Camille Brunelle projette l’image glaçante de ses moments de vide vertigineux. Troublant.
Section vidéo
Assistance à la mise en scène et régie Andrée-Anne Garneau
Scénographie Max-Otto Fauteux
Lumiere Martin Labrecque
Éclairagiste de tournée Marie-Aube St-Amand Duplessis
Conception vidéo Gabriel Coutu-Dumont, Janicke Morisette et Jean-François Brière-Geodezik
Musique Nicolas Basque
Mouvement Caroline Laurin-Beaucage
Costumes DVtoi
Maquillages Suzanne Trépanier
Assistance aux costumes Sylvain Genois
Direction technique Victor Lamontagne
Stagiaire à la mise en scène Jean-Simon Traversy
Photo
Jérémie Battaglia
Durée : 1h10
Tarif régulier : du 32$ à 42$
Foubrac : 24.75$
Accro : 28.25$
Béguin : 30$
En parallèle
Rencontre avec l'équpe le 3 juin
Production Théâtre PÀP
Le livre est disponible chez Leméac éditeur, sous le titre Nous voir nous (Cinq visages pour Camille Brunelle).
Théâtre Périscope
2, rue Crémazie Est
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne
par Véronique Voyer
Cinq visages de Camille Brunelle : y a-t-il quelqu’un sous la surface?
Sur scène, cinq comédiens se définissent à travers ce qu’ils consomment. Musique, films, marques de vêtements, sorties branchées et voyages ; tout y passe dans un combat où chaque phrase débute par « j’aime », comme sur Facebook. Cette pièce dissèque le narcissisme 2.0 et identifie la surexposition du moi comme remède au drame de notre banalité.
Commençant le spectacle par des remerciements sincères destinés au public, les acteurs semblent satisfaits d’être sous les projecteurs. Ils en profitent pour décliner leur identité à la manière d’une fiche de présentation sur un site de rencontre. Après les classiques du type sexe, prénom, ville, et occupation, ça devient vite une compétition où les préférences culturelles de chacun entrent en scène. Sous couvert d’une amitié de longue date, ils se comparent, jugent et critiquent le choix des autres.
Il n’est plus question d’apprécier une œuvre ou de la critiquer ; c’est un concours où la manière de dire le nom de Gabriel García Márquez importe plus que ce l’auteur dit dans 100 ans de solitude. Devenant des armes, les référents culturels perdent leur profondeur, car l’œuvre d’art, l’artiste ou le lieu culte est réduit à un nom que l’on noie dans une énumération. En somme, c’est la quantité qui prévaut sur la qualité, et le concept de « culture générale » est floué. Qu’est-ce que ça veut dire être cultivé? Suffit-il d’être perçu comme celui qui pourra dire j’ai tout lu, tout vu, tout su avec les gens les plus en vus?
Chaque personnage est cantonné à une personnalité basée sur sa consommation. Tu bois du champagne et rigoles à des expos d’art? Tu es un dandy prétentieux. La culture est pervertie par l’idéologie capitaliste : il faut consommer le plus possible pour mieux briller en société. Puis, la culture remplace l’identité comme en témoigne la réplique d’une comédienne à l’évocation d’un chanteur populaire : « C’est tellement toi, ça! Dès que j’entends ça, je pense à toi, c’est automatique! »
Sur scène, des vêtements tapissent le sol. Dessous, un miroir se cache. Dessus, les comédiens se déplacent ; ils se changent, dansent, s’affrontent sans qu’une action précise ou un but ultime ne motive vraiment leurs mouvements. En fait, une soirée au bar polarise l’histoire. On la découvre à travers des photos floues, typiques d’un photographe éméché qui utilise son téléphone intelligent pour immortaliser l’instant. Ces photos laissent en bouche un goût amer, car l’overdose de faits et gestes est excessivement réaliste ; on y reconnait trop bien le genre de publireportages qui polluent les réseaux sociaux.
Dans ce contexte, ce texte hyper actuel de Guillaume Corbeil emplit d’air nos référents culturels et l’éclate d’une phrase où le mot banal rencontre le fameux moi. Il évacue le sens, la profondeur et l’émotion que l’art peut véhiculer. À l’inverse de l’intimité, l’extimité est au cœur de cette pièce où des individus se sauvent à toutes jambes de l’anonymat et de la solitude.