Voici ce qu’on peut appeler, sans crainte de se tromper, du théâtre à risque!
Pièce sans personnage ni trame narrative, sans véritable fiction, le ishow propose une mosaïque de rencontres. Assis chacun devant son portable, dont certaines images sont relayées sur un grand écran, les artistes du collectif les Petites Cellules chaudes naviguent et présentent ce qu’ils pêchent sur la toile : vidéos, conversations en direct avec des internautes par le biais de réseaux sociaux. À ces contacts s’ajoute la relation établie avec le public, à la fois complice et interlocuteur.
Rencontres inattendues, amusantes, moments graves, farfelus ou inconfortables, le ishow propose une plongée captivante dans l’inconnu, coup d’œil sur le monde à portée de clic. À la froideur de l’univers virtuel se greffe une authentique humanité : dans le traitement des éléments captés, qui deviennent matière du spectacle ou images poétiques, par le rapport à l’autre, toujours empreint de respect et d’intérêt sincère, par le risque, pleinement assumé.
Spectacle solidement structuré tout en restant libre, performance où l’imprévu arrive et fait de chaque représentation un événement unique, le ishow impressionne : pour une fois, la navigation sur internet n’est plus un acte individuel, mais une exploration collective. Au-delà de la grande solitude qui souffle sur la toile, en résulte une impression de chaleur et de connivence, dans la découverte, la réflexion et l’étonnement partagés.
Le ishow, créé en 2012 à Montréal, a reçu en 2013 le prix du Meilleur spectacle de l’AQCT (Montréal) et le Buddies in Bad Time Vanguard Award for Risk and Innovation auSummerworks Festival de Toronto.
Section vidéo
Lumière Marie-Ève Pageau
Direction technique et régie Julie-Anne Parenteau-Comfort
Collaboration au son Navet Confit.
Conseils au mouvement Mélanie Demers
Photo Jérémie Battaglia
Durée : 1h20
Tarif régulier : du 32$ à 42$
Foubrac : 24.75$
Accro : 28.25$
Béguin : 30$
En parallèle
Rencontre avec l'équpe le 10, 11 et 12 juin
Production Collectif Les Petites Cellules Chaudes
Théâtre Périscope
2, rue Crémazie Est
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne
par Francis Bernier
Pour clôturer la 15e édition du Carrefour international de Théâtre de Québec, c'est un spectacle provocateur que présente le collectif Les Petites Cellules Chaudes, au Théâtre Le Périscope. La controverse est parfois le bon moyen de faire réfléchir et de faire évoluer la société ; en nous présentant la réalité crue du monde virtuel, les créateurs du iShow amènent des interrogations nécessaires aux concepts d'intimité, de voyeurisme, d'amour et de sexualité dans nos rapports à l'autre. Un spectacle risqué et sans filet qui repose principalement sur les différentes rencontres hasardeuses que feront les comédiens et comédiennes sur leur webcam tout au long du spectacle.
Dans une salle aux lumières tamisées, les acteurs s'affairent chacun à leur ordinateur portable sur une table placée au centre de la scène. Les spectateurs prennent place dans la salle, alors que sur un écran géant, au fond de la scène, est retransmise en direct l'image de l'écran de trois d'entre eux, aléatoirement. On devient témoin de leurs discussions engagées avec de parfaits inconnus sur des sites de messagerie et de visiophonie dans le style de Chatroulette. Des conversations souvent pathétiques, parfois touchantes, mais la plupart du temps empreintes d'un malaise qui mélange habilement, et il faut le souligner, beauté et médiocrité. Un des moments les plus touchants de la pièce reflète bien cette idée ; un parfait inconnu rencontré sur Chatroulette est invité à donner la réplique à Audrey Talbot, l'une des comédiennes du spectacle qui personnifie pour l'occasion Roxanne, dans un extrait de Cyrano de Bergerac. Le texte lui est donné en direct via messagerie et le résultat s'avère particulièrement réussi et émouvant.
Au gré de la représentation sont alignées différentes vidéos virales quelques fois rejouées en direct par les comédiens. François-Édouard Bernier est particulièrement drôle dans son interprétation du classique Youtube Double rainbow. De la même manière, on fait revivre devant nous la vidéo du tristement célèbre Fidel Lachance et sa chanson Fidélité, regardée plusieurs milliers de fois sur Internet. Plus ou moins structurés autour d'une ligne narratrice quelconque, les séquences vidéo et théâtrales s'entremêlent parfois de façon quelque peu chaotique. On a du mal à voir l'intérêt de certaines scènes qui semblent la plupart du temps tomber à plat sans la participation active des gens inconnus outremer rencontrés via webcam.
Avec iShow, on est transporté dans le monde anonyme et parfois inquiétant du World Wide Web. Une proposition originale qui choque et déstabilise. Chapeau à cette production sans censure qui sort des sentiers battus en osant le risque et le malaise.
par David Lefebvre (2013)
Résultat d’un laboratoire de création basé sur les réseaux sociaux orchestré par Claude Poissant au Centre national des arts d’Ottawa, puis de quelques représentations lors du OFFTA 2012 aux Écuries, le iShow (ou Je m’occupe de transférer le message à Chanda), présenté pour trois jours seulement à l’Usine C, réunit 15 comédiens sur scène, placés devant leurs ordinateurs portables. On pourrait d’abord croire à un LAN Party, ces réunions de jeux en ligne, si ce n’était de la projection sur le mur à l’arrière-scène de trois écrans parmi les ordinateurs de la salle. Trois diffusions en direct de racolage sur le célèbre réseau Chatroulette, où les comédiens et comédiennes tentent d’entrer en contact avec des gens de partout à travers le monde, de communiquer tout en draguant ouvertement. Alors que le public prend tranquillement place dans la salle, il s’amuse des différents échanges. S’ensuit l’ouverture officielle de la pièce, soit une longue tirade sur la communication ininterrompue, obligatoire, flot de mots imposé jusqu’à ce qu’on y mette un frein.
Déconcertant, dérangeant, de facture beaucoup plus impressionniste que conventionnelle, le iShow aborde sans aucune retenue des thèmes d’une extrême contemporanéité : notre désir de plaire, qui se transforme en besoin irréfléchi de s’offrir en spectacle, de se révéler sans censure, de s’exhiber impunément. Celui de communiquer, de parler, de déjouer l’ennui de toutes les façons possibles. Avec intelligence, on tangue entre l’hommage et l’autodérision. Ce laboratoire technologique navigue ainsi sur plusieurs plateformes et réseaux sociaux : on discute de choses légères avec un homme en Espagne (-Elle est belle ta barbe… avez-vous Movember chez vous?), on reproduit certains vidéos viraux de YouTube, dont le « double rainbow » (plus de 36,5 millions de visionnements au moment d’écrire cette critique), le « David after dentist » (117,5 millions de visionnements) ou encore « Tequila, Heineken… » ; inutile d’écrire la suite, tout le monde connaît maintenant cette réplique culte. On se moque de Stephen Harper en créant un mashup, on montre ce garçon obèse jouer avec ses sabres laser, on explore la pornographie sur des live chats ; si la liberté semble sans limites, on découvre également que le concept d’intimité se veut totalement inexistant. Le nombre et l’accessibilité des sites pornographiques le prouvent bien, mais la troupe y va de façon encore plus sournoise, en lisant quelques statuts Facebook de gens dans la salle. Un voisin de siège, qui fut nommé, a candidement avoué que ceci était tout de même troublant. Preuve irréfutable que les réseaux sociaux ne sont pas des salons privés, mais bien des lieux publics et ouverts. Leçon à retenir : nous ne sommes jamais trop prudents.
Si le côté ludique prend souvent le dessus lors du iShow – le monde virtuel est tout de même un endroit d’évasion, entre autres choses –, certaines scènes, totalement troublantes, voire réellement choquantes, frappent de plein fouet le public. On ira jusqu’à rendre l’expérience immersive : alors qu’on diffuse sur écran les SMS échangés entre une mère et sa fille lors de la tuerie en Norvège du 22 juillet 2011, on utilise Google Earth pour se transporter sur l’île d'Utoeya, où est prisonnière la jeune femme. Un sentiment paradoxal nous immerge : le graphisme en trois dimensions rappelle les jeux vidéo, les paroles échangées sont parfois futiles, manquant même d’urgence vue la situation, mais malgré tout, notre cœur se broie au souvenir de ce jour funeste et désolant. Plus tard, on invitera une personne du public à visionner une certaine vidéo d’un Canadien tristement célèbre, d’une barbarie insoutenable – lors de la première, la foule a manifesté ouvertement son mécontentement en exprimant sa désapprobation. Si le but de l’exercice était d’éprouver le public, c’est tout à fait réussi ; l’indignation ressentie prouve que nous ne sommes pas encore totalement tombés dans cette indifférence de plus en plus grandissante face aux images explicites et sordides du Net.
Quelques moments de théâtralité s’immiscent au travers des expériences des jeunes gens, dont un échange d’aveux entre un homme et une femme, sur le désir et le choix de vivre ensemble, une chorégraphie enjouée et colorée, quelques élans de poésie « kitsch » (dont les paroles d’une chanson de Johanne Blouin) ainsi que la momification d’une des comédiennes, disparaissant sous d’innombrables petits bouts de papier qu’on colle sur ses vêtements et son visage. Moment fort comique aussi que fut cette tentative de jouer une scène de Cyrano de Bergerac avec l’aide d’un participant volontaire sur Chatroulette, qui devait lire les répliques qu’on lui balançait, y allant alors d’un retentissant « c’est quoi ce texte à la con? » ; une occasion en or de se poser de sérieuses questions sur la place de l’Art et des grands classiques dans cet univers virtuel où l’éphémère est trop souvent roi.
Le spectacle ne serait pas du tout le même sans l’audace de ses interprètes qui se mettent carrément à nu, faisant preuve de courage et d’inconscience volontaire, poussant l’expérience jusqu’au bout, incluant effeuillages et répliques (trop) suggestives des internautes. Et la plupart se débrouillent plutôt bien avec les différents logiciels, malgré les problèmes techniques qui surviennent immanquablement ; loin de nuire à la pièce, ceux-ci rendent le tout plus humain et plus sympathique.
Fascinant, ce iShow provoque de multiples réactions au sein du public, qui devient à la fin la vedette du spectacle, toutes les webcams braquées sur lui. Une des expériences les plus saisissantes et troublantes de l’année.