« Où vont les gens quand ils disparaissent de notre vie, de notre mémoire? » De cette interrogation est né Kiss & Cry, spectacle de nanodanse de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael, créé en 2011 à Mons, récipiendaire du Prix de la critique du meilleur spectacle de danse en France.
Assise dans une gare, une femme se remémore ses amours passées. Pour ténu que soit le fil de l’anecdote, l’ensemble, par son esthétique, accède à une dimension lyrique singulière. Narrée par une voix off, l’histoire est interprétée par des mains, qui dansent et incarnent les personnages. Évoluant dans des décors faits de sable, d’eau, d’objets divers, la chorégraphie, filmée en gros plan, est projetée simultanément sur un écran, où se brouillent échelles et perspectives, où se fondent le petit et le grand pour créer un monde à la beauté mystérieuse, onirique. Happé par les images du film et par le ballet des artistes passant d’une station à l’autre, sur la scène devenue plateau de tournage, le regard contemple à la fois l’œuvre et la création, en direct, de celle-ci.
Ingénieux, magnifique, Kiss & Cry, retraçant le parcours ondoyant des sensations et sentiments, émeut fortement. Au texte empreint de nostalgie et de douceur signé Thomas Gunzig, se joint la poignante et libre expressivité des mains qui dansent. S’y ajoute le recours délicat aux objets, prenant ici le relais du récit pour recréer, par de fines métaphores, les impressions fugitives, l’indicible. Espace recueilli du souvenir, image de l’univers intérieur, Kiss and Cry évoque, de son charme puissant, les méandres de la mémoire, les tremblements du cœur.
Section vidéo
Équipe de création
Idée originale Michèle Anne De Mey, Jaco Van Dormael en création collective avec Gregory Grosjean, Thomas Gunzig, Julien Lambert, Sylvie Olivé, Nicolas Olivier
Chorégraphie - NanoDanses Michèle Anne De Mey, Gregory Grosjean
Mise en scène Jaco Van Dormael
Textes Thomas Gunzig
Scénario Thomas Gunzig, Jaco Van Dormael
Création lumière Nicolas Olivier
Décor Sylvie Olivé assistée de Amalgame - Elisabeth Houtart, Michel Vinck
Création sonore Dominique Warnier, Boris Cekevda
Images Julien Lambert assisté de Aurélie Leporcq
Équipe du spectacle
Narrateur Jaco Van Dormael
Metteur en scène Ivan Fox
Danseurs Michele Anne De Mey, Gregory Grosjean
Caméra Julien Lambert
Assistante caméra Aurélie Leporcq
Lumière Bruno Olivier
Manipulation décors et interprétation Pierrot Garnier, Gabriella Iacono, Stefano Serra
Son Boris Cekevda
Technicien Wenceslas Kaboré
Musique George Frideric Handel, Antonio Vivaldi, Arvo Pärt, Michael Koenig Gottfried, John Cage, Carlos Paredes, Tchaikovsky, Jacques Prevert, Ligeti, Henryk Gorecki, George Gershwin
Photo Marteen Vanden Abeele
Durée : 1h30
Tarif régulier : du 36$ à 47$
Foubrac : 28$
Accro : 32$
Béguin : 34$
En parallèle
- Rencontre avec l'équipe le 5 juin
Production Charleroi Danses – Centre chorégraphique de la fédération Wallonie Bruxelles / le manège.mons - Centre Dramatique
Coproduction Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
ExpoCité - Pavillon du commerce
250, boulevard Wilfrid-Hamel
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne
par Francis Bernier
C'est un habile mélange entre le cinéma et la danse que nous offre le spectacle Kiss and Cry, présenté au Pavillon du commerce dans le cadre de la 15e édition du Carrefour international de théâtre de Québec. Où vont les gens quand ils disparaissent de notre vie, de notre mémoire ? Les créateurs de Kiss and Cry s'inspirent de cette question pour nous raconter le discours amoureux dans un mélange d'humour, de romance et de poésie, utilisant un langage scénique singulier plein de candeur, qui charme et enchante l'imaginaire.
La kiss and cry area (l'aire des baisers et des pleurs) a été baptisée ainsi par Jane Erko, figure emblématique du patinage artistique finlandais, et fait référence à l'endroit où les patineurs attendent leur pointage après leur performance lors d'une compétition. Ici, cet endroit devient le quai d'une gare. On nous raconte l'histoire de cette vieille dame qui attend le train seule et qui se remémore les souvenirs de ses amours passées, ces amours volatilisés. Que sont-ils devenus? Pourquoi sont-ils disparus?
Michèle Anne de Mey et Jao Van Dormael ont eu l'idée d'un long métrage qui pourrait se jouer sur la table d'une cuisine et qui combinerait une chorégraphie qui ne se danse qu'avec les mains. Plusieurs caméras retransmettent donc en direct l'action miniature qui se déroule sur les différentes tables servant de plateaux de tournage en modèle réduit. Les mains et les doigts font office de danseurs et présentent des nanochorégraphies précises au milieu de décors bricolés et de jouets d'enfants. La scénographie est à couper le souffle et emprunte ici et là au cinéma, au théâtre et à la danse. Véritable production multidisciplinaire ou artistes et techniciens sont réunis sur scène dans un grand ballet synchronisé, Kiss and Cry combine les arts et les codes de façon unique. Le grand bonheur de cette production se situe dans le fait que le spectateur puisse à tout moment choisir entre observer l'action montée qui se déroule sur l'écran géant ou porter son attention au procédé et à la technique utilisée pour créer celle-ci. En observant les artistes et techniciens à l'oeuvre en direct sur la scène, on peut se faire une meilleure idée de l'immense travail et du degré de virtuosité que certaines scènes demandent.
Fabuleuse fable sur le temps qui passe, Kiss and Cry est un incontournable et innove par son ingéniosité. À voir absolument!
par Pascale St-Onge (2013)
Que reste-t-il de nos amours?
Après une première série de représentations, l'équipe de Kiss & Cry nous revient à l'Usine C, un retour attendu avec impatience et enthousiasme. Avec raison, car l'étrange spectacle mêlant cinéma, danse et théâtre d'objets est un véritable enchantement visuel, un spectacle intelligent et divertissant sur tous les points.
Assise au banc d'une gare, une vieille femme confronte sa mémoire défaillante et tente de reconstituer les souvenirs des cinq histoires d'amour qui ont constitué sa vie. La mémoire devient une véritable trame, un combat difficile qui transparaît dans chaque image, parfois incomplète vu les morceaux manquants, créée de toutes pièces par l'équipe en scène. La valeur de chaque souvenir est mise à l'épreuve, rapidement on se demande quel souvenir, quel moment survivra au temps et à notre mémoire? Que reste-t-il de nos amours après des décennies, après les joies, les peines... Qui marquera notre mémoire malgré ses failles? Kiss & Cry devient donc les brides de ce qu'il reste, des extraits d'une vie entière qui se tiennent en un seul spectacle et dont les plus marquants sont insoupçonnés.
Les codes scéniques sont ici bien dérangés puisque décortiqués, remis en question et recomposés de toutes pièces avec des inspirations diverses. C'est donc ainsi que se mêlent le cinéma en direct et les microchorégraphies de mains, qui se réfèrent elles-mêmes directement au théâtre d'objet. Le spectacle devient un exploit technique de toute l'équipe, car le moindre faux pas d'un technicien ou acteur pourrait gâcher une scène entière. Aussi, les qualités du cinéma sont mises au service du récit, narré par la voix hypnotique de Thomas Gunzig ; la musique, parfaitement bien choisie, a un pouvoir indéniable sur l'image, tout autant que sur le mouvement.
Le plaisir du spectateur, qui se laissera facilement emporter par les histoires de cette vieille femme, se trouvera aussi dans son choix d'observer la création technique de l'image sur scène, ou son résultat à l'écran. Rapidement on décèle l'inventivité à l'origine du succès de cette création collective. Petit clin d'oeil à la magnifique finale, totalement en harmonie et cohérente avec l'ensemble de la démarche, transcendant les codes que la représentation avait elle-même instaurés.
Au défi technique de l'oeuvre relevé avec brio par toute l'équipe, c'est une histoire touchante et abordée de façon ludique par les chorégraphies pour mains, charmantes à souhait. Les raisons du succès de la tournée de ce spectacle deviennent évidentes après quelques minutes à peine et se confirment alors qu'on réalise que le temps est passé si vite, que la représentation s'est déroulée en un éclair. Si cette vieille femme se questionne sur l'avenir de ses souvenirs, le public, quant à lui, n'aura pas à s'inquiéter que ce spectacle marquera sa mémoire.
par Ariane Cloutier (2012)
Jaco Van Dormael, Michèle Anne De Mey et leur troupe nous présentent en première nord-américaine le très singulier spectacle Kiss and Cry à l’Usine C. Le cinéaste Van Dormael et la chorégraphe De Mey jouent dans des tons qui leur sont familiers : l’univers onirique, le détournement d’objets enfantins et hors d’échelle, les phénomènes naturels ainsi qu’une très grande sensibilité aux mécanismes humains.
L’appellation Kiss and Cry est une expression empruntée au patinage artistique, désignant l’espace où, le plus souvent assises sur un banc, les patineuses attendent avec impatience l’appréciation des juges sous le regard des caméras et des spectateurs. Sur scène, nous observons plusieurs maquettes, lieux de tournage qui serviront à créer sous nos yeux un film, parfois à la limite de l’abstraction, projeté en arrière-scène. Plusieurs caméras nous dévoilent progressivement ces lieux imaginaires, abstraits ou représentatifs, habités de figurines minuscules et de souvenirs. Les deux protagonistes sont une main de femme et une main d’homme évoluant avec la grâce de danseurs suivant la musique.
La trame principale est celle de l’évolution de la mémoire, racontée à travers cinq histoires d’amour qu’une vieille dame se remémore, assise sur un banc à la gare. Cette réflexion poétique, articulée par une narration adaptée d’un texte fort et imagé de Thomas Gunzig, commence avec la question : où vont les gens quand ils disparaissent de notre vie, de notre mémoire ?
Au moyen d’habiles stratagèmes techniques, de mécanismes scéniques, d’un éclairage finement travaillé et de jeux de focus, la caméra nous entraîne de manière tout à fait fluide d’un micro-univers à l’autre. Le soin extraordinaire porté aux maquettes et l’utilisation de meubles, d’objets du quotidien, de jouets, d’éléments naturels (eau, sable, terre, etc.) situent ce film, créé en direct, très près du cinéma d’animation.
La trame sonore, incluant du bruitage en direct et des compositions originales, est parsemée de quelques chansons connues, dont de Charles Trenet. Ces interventions musicales et le très habile jeu des mains donnent parfois une teinte humoristique à ce spectacle, qui sinon aurait pu sembler trop nostalgique. Bien que des changements de rythme auraient été souhaitables pour dynamiser le spectacle, le rythme lent et les mouvements fluides de la caméra nous entraînent dans un état méditatif qui nous permet de réfléchir aux questionnements universels évoqués par la narration.
Les auteurs et interprètes de Kiss and Cry font preuve d’une grande créativité et d’ingéniosité pour nous dévoiler un monde peu exploré, celui des lieux de mémoire. Une prestation unique, alliant la danse, le cinéma et le théâtre d’objet, à voir absolument.