Un metteur en scène riche et adulé et un auteur dramatique frustré et fauché se retrouvent attablés dans un bon restaurant, après s’être perdus de vue pendant plusieurs années. Autour d’un repas gastronomique préparé en direct sur scène chaque soir par un chef réputé, André et Wally, dont les visions de la vie et de l’art sont diamétralement opposées, se livrent à une conversation savoureuse et prodigieusement hilarante, tout en dégustant les mets et les vins qui leur sont servis. Le narcissisme monumental et bavard de l’un n’a d’égal que la mauvaise foi, la truculence et l’appétit de l’autre.
Les deux comédiens se régalent, dans tous les sens du terme, jouant avec le protocole théâtral, improvisant, sortant de leurs personnages, frôlant le cabotinage, établissant une connivence immédiate avec le public. Ils sont éblouissants. Un festin d’intelligence, de savoir-faire et d’humour, à consommer sans modération… mais avec un estomac déjà bien rempli, au risque de subir le supplice de Tantale!
Section vidéo
Adaptation Damiaan De Schrijver et Peter Van den Eede
Traduction française Martine Bom
Costumes Inge Büscher
Décor STAN et de KOE
Durée : 3h30
Tarif régulier : 45$
Avant-spectacle : dès 17 h 30, un buffet sera servi.
En vente à la billetterie du Carrefour
En marge des spectacles - Entretien avec les artistes - 1-2-4 juin
Production tg STAN et Cie de KOE
Coproduction de la version française Théâtre de la Bastille (Paris), Festival d’Automne (Paris) et Théâtre Garonne (Toulouse)
Théâtre Périscope
2, rue Crémazie Est
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne
par Francis Bernier
Un souper presque parfait
Lorsqu'on assiste à un remake de film au théâtre, certaines questions viennent évidemment nous brûler les lèvres à la sortie de la salle : était-ce meilleur ou moins bon que l'original? Question difficile à répondre, voire impossible, puisqu'il s'agit ici de comparer deux arts diamétralement opposés même s’ils partageant certains aspects artistiques. La question serait plutôt de savoir si les auteurs de la relecture ont pu réussir à ajouter d'autres dimensions à l'oeuvre dans sa transposition de l'écran aux planches. Dans le cas qui nous préoccupe ici, soit My dinner with André des auteurs flamands Damiaan De Schrijver et Peter Van den Eede, la pièce y parvient sur toute la ligne et, malgré sa longue durée de 3h30 sans entracte, réussit à capter l'attention tout le spectacle durant.
La pièce tire son nom du film éponyme de Louis Malle produit en 1981. Le texte avait été originalement écrit par André Grégory et Wallace Shawn en se basant sur leur propre histoire. André Grégory avait produit la première pièce de Wallace Shawn dans les années 70 ; ils s'étaient ensuite perdus de vue, surtout à cause d'André Grégory qui arrêta sa carrière de metteur en scène au sommet de la gloire pour aller vivre des expériences de type new age à travers le monde et tenter de trouver un sens à son existence. On les retrouve donc lors de leurs retrouvailles, dans un restaurant chic, discutant de la vie, de la philosophie, de la spiritualité et de l'art avec leurs visions diamétralement opposées. Le succès de la pièce s'appuie sur la qualité des personnages ; André Grégory (Peter Van den Eede) est d'un narcissisme énervant, cherchant sans cesse à avoir raison et ne laissant la parole à son interlocuteur que lors de rares occasions, alors qu’il daigne prendre une bouchée ou une lampée de quelque chose, tandis que de l'autre côté de la table, Wallace Shawn (Damiaan De Schrijver) s'empiffre et s'enivre, l'oreille plus ou moins attentive aux élucubrations de Grégory qui, à l'instar de l'appétit de Wallace, ne semblent jamais avoir de fin. Le comique de la pièce repose totalement sur ce duo improbable et sur leur opposition de caractère qui amènent beaucoup de moments hilarants, appuyés en plus par un texte subtil et ironique à souhait, ainsi que par le grand talent des interprètes, qui donnent au public l'impression d'assister à une réelle discussion improvisée entre deux comparses. Damiaan De Schrijver est sublime sous les traits de Wallace Shawn : son personnage d'auteur blasé prend tranquillement sa place dans la pièce et arrive à faire rire avec de simples regards. Même constat du côté de Peter Van den Eede, absolument insupportable en André Grégory, qui porte sur ses épaules une grande partie de la pièce avec de nombreux et très longs monologues lancés avec un naturel élégant.
La production française parvient à transmettre sur les planches l'humour particulier du film en y apposant sa signature personnelle. Les comédiens s'amusent à déconstruire leur propre jeu, improvisent, cabotinent avec la nourriture, s'adressent au public en se permettent de sortir de leur rôle, et ce, avec toute l'aisance du monde. On ne tente pas de reproduire fidèlement la version cinématographique – qui, selon l’un des auteurs, était de toute façon ennuyeuse à souhait – ; on crée plutôt quelque chose d'unique qui, bien que basé sur une autre œuvre, possède sa propre personnalité. Les effluves des fourneaux de Louis Bouchard Trudeau et Thania Goyette du restaurant Le Bouchon du Pied Bleu (François Blais du restaurant Bistro B. sera le chef invité des représentations du 2 et du 4 juin), installés directement sur scène à la vue du public, ajoutent à la sensation d'immersion. Il n'est pas rare d'avoir l'eau à la bouche durant la représentation, tellement les différents plats présentés aux acteurs ont l'air succulents, leurs odeurs emplissant au bout d'un certain moment toute la salle.
On rit beaucoup durant tout le spectacle. My diner with André frôlerait la perfection si ce n’était de sa durée qui pourrait en effrayer plus d'un. Prévoyez-vous un petit casse-croûte pour l'après-spectacle, car My dinner with André est une pièce qui, bien que rassasiante, ouvre inévitablement l'appétit.