La scène se déroule dans une grande maison bourgeoise de Vienne. Les époux Auersberger donnent ce qu’ils appellent un dîner artistique, dont l’invité d’honneur, comédien vedette du Théâtre Impérial, se fait attendre. Les convives et leurs hôtes commémorent aussi ce soir-là leur amie Joana, artiste incomprise et malheureuse qui a fini par se suicider et qu’ils ont enterrée le matin même.
Le matériau d’origine est un récit de l’écrivain autrichien Thomas Bernhard, narrateur de ce monologue relatant la soirée, et dont le sous-titre est Une irritation. Il s’y livre à une observation cinglante du milieu artistique viennois. La transposition scénique orchestrée par Krystian Lupa, grand maître polonais de la mise en scène, déploie l’œuvre en une fresque théâtrale et cinématographique absolument magistrale où s’incarne toute la complexité de l’âme et des relations humaines, portée par une troupe d’actrices et d’acteurs stupéfiants de vérité.
Le spectacle éblouit et triomphe partout où il passe depuis sa présentation au Festival d’Avignon 2015. Rarement voit-on un enthousiasme aussi unanimement dithyrambique, autant chez les publics que du côté de la critique. Exceptionnel, fascinant, époustouflant, étourdissant, incomparable, et, selon le quotidien Le Monde, « Un chef-d’œuvre. […] un manifeste artistique éblouissant, qui est aussi une comédie humaine d’une drôlerie et d’une férocité sans nom. »
Section vidéo
Durée 4h40
Achat à l'unité : 49,50$
* Taxes et frais de service inclus
Université populaire - Littérature autrichienne et théâtre polonais
Conférence Samedi 13 Mai | 14h
Maison de la littérature - 40, rue Saint-Stanislas
Qui sont Thomas Bernhard et Krystian Lupa? Dans quel contexte, social, politique et artistique, leurs œuvres s’inscrivent-elles? Voyage au cœur de leur travail pour mieux saisir tous les enjeux de la pièce Wycinka Holzfällen (Des arbres à abattre) et découvrir une des légendes du théâtre polonais contemporain et un de ses auteurs fétiches, figure controversée de la littérature autrichienne.
Conférencière : Madame Irène Roy, professeur retraitée de l'Université Laval - département de théâtre
Production Teatr Polski/Wroclaw
Spectacle d'ouverture le 23 octobre 2014 at the Jerzy Grzegorzewski Stage
Spectacle présenté en collaboration avec le Festival TransAmériques (FTA).
Grand Théâtre de Québec, salle Louis-Fréchette
269 Boulevard René-Lévesque E.
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne
C’est porté par les échos dithyrambiques de la critique que Wycinka Holzfällen - Des arbres à abattre a été présenté pour une unique représentation au Carrefour international de théâtre. Cette production du Polski Theatre in Wroclaw, d’après un texte de Thomas Bernhard, adapté et mis en scène par Krystian Lupa (qui en signe aussi la magistrale scénographie et les éclairages impressionnants) est un véritable théâtre de résistance, ce que le spectateur qui ne s’est pas renseigné sur la pièce en amont ne comprendra véritablement qu’à la toute fin de la pièce.
Dans leur demeure bourgeoise de Vienne, Monsieur et Madame Auersberger donnent ce qu’ils appellent un dîner artistique, dont l’invité d’honneur, comédien vedette du Théâtre National, se fait attendre. Les convives et leurs hôtes commémorent aussi ce soir-là leur amie Joana, artiste incomprise et malheureuse qui a fini par se suicider et qu’ils ont enterrée le matin même. L’un des invités, Thomas Bernhard, tient tout au long de ce souper un monologue intérieur qui décrit ce milieu révolu d’un autre temps – ce monologue, une voix off constamment présente, vient même parfois étouffer le propos des comédiens sur scène, comme cette petite voix qui occupe vos pensées lorsqu’il vous faut demeurer poli face à une aberration alors que vous avez envie de hurler.
Il n’est pas facile de résumer Des arbres à abattre, ni d’en faire ressortir les trames essentielles – les 5 heures de la pièce sont denses, souvent hermétiques, et la poignée de spectateurs qui a quitté la salle au bout de la première heure, totalement statique, aura manqué la spectaculaire scénographie qui s’est ensuite déployée. À lui seul, cet élément vaut le détour et les multiples possibilités qu’il peut faire naître fascinent tout au long de la pièce.
Le tout débute alors que les derniers spectateurs ne sont pas encore assis. Une projection au-dessus de la scène obscure nous présente une entrevue de Joana avec un journaliste, où elle explique sa démarche qui vise, littéralement, à « redonner des jambes » aux comédiens du National – cette démarche concrète est également figurative, car, pour Joana, c’est ainsi que les comédiens pourront se réapproprier leurs émotions et être vraiment authentiques. Elle évoque Beckett, et on ne peut s’empêcher de penser à En attendant Godot pendant toute la première partie de la pièce, alors qu’on attend le comédien du National qui se laisse désirer.
Le dîner lui-même est une séance de « name dropping » bien sentie, où chacun tente de briller plus que les autres, en émettant une opinion qui se veut la plus intelligente : Shakespeare, Ibsen, Purcell, Virginia Woolf, Gertrude Stein… C’est chacun pour soi, chacun estimant avoir touché l’essence même de chaque œuvre, le suicide de Joana est prétexte à se mettre en valeur, idéalement au détriment des autres, et les pointes vicieuses, mais discrètes du début de la soirée se muent en attaques ouvertes au fur et à mesure que la consommation d’alcool augmente.
C’est aussi une remarque de Joana dont on se rappelle lorsque les masques tombent : « lorsque j’aurai donné tout le meilleur de moi-même, je donnerai alors le pire : cela aura au moins le mérite d’être authentique ». La quête du vrai est également au cœur de la pièce, et on le trouve souvent lorsque la prétention de la perfection tombe, lorsque l’on fait fi des conventions sociales qui paralysent et… nous coupent les jambes. Mme Auersberger, figure iconique d’un passé révolu qu’elle tente de maintenir à coup de changement de tenue de soirée tout au long du dîner, s’effondre doucement à l’arrière-plan et finit par abandonner en intimant à Thomas de ne pas écrire sur cette soirée désastreuse.
Des arbres à abattre se veut une critique du milieu artistique viennois, mais cela peut bien entendu s’appliquer à l’art en général, au théâtre en particulier, alors que les mises en abyme se multiplient, notamment avec la scénographie qui nous propose une véritable scène sur la scène. C’est également une charge à blanc contre le milieu politique : lors des salutations au public, la troupe a remercié l’équipe du Carrefour international de théâtre de l'avoir reçue pour cette unique représentation, la première depuis 6 mois, car il lui a été impossible de jouer en Pologne en raison de barrières politiques. C’est une situation impensable au Québec que de voir le gouvernement s’immiscer dans les choix artistiques d’un théâtre ou d’un festival… ou pas?
Des arbres à abattre est donc un choix audacieux pour le Carrefour de théâtre : la pièce s’inscrit toutefois entièrement dans un contexte de festival et on comprend que le combat mené par Lupa et sa troupe ait trouvé écho auprès du Carrefour et du FTA. Le spectateur curieux et ouvert y trouvera son compte, encore plus s’il est au fait de cette situation au début de la représentation.
Après tout, comment peut-on dire si une œuvre est bonne ou non? Qui peut en juger, et comment doit-on en juger? En écrivant les derniers mots de cette critique, on ne peut s’empêcher de se demander si nous ne sommes pas nous-mêmes convives d’un quelconque dîner artistique, tentant de prouver aux autres critiques notre supériorité intellectuelle par notre fine compréhension du spectacle.
On comprend alors que, même si Des arbres à abattre n’est pas le genre de pièce d’où on sort subjugués, l’œuvre demeure toutefois avec nous longtemps, mijotant dans un coin de notre esprit, nous confrontant, nous faisant réfléchir et nous interroger. C’est bien une façon dont on peut dire d’une œuvre qu’elle est réussie.