L’eau du bain est une compagnie pluridisciplinaire engagée dans une démarche artistique qui tente d’appréhender le réel, loin des modes, loin de l’univers du divertissement et du brouhaha médiatique.
Deuxième volet d’une série intitulée Portraits, après Impatience, construit avec des adolescents, Nous voilà rendus met en scène des personnes âgées. Présenté à Montréal la saison dernière, le spectacle a été entièrement recréé à Québec avec des locataires de la résidence pour aînés Le Saint-Patrick, située dans le quartier Montcalm.
Il ne s’agit pas d’un documentaire mais bien d’une œuvre de création, un poème sonore et visuel qui traite de la perte associée au vieillissement, de la mémoire et de l’oubli, et qui se veut une ode à la vie, à sa force et à sa fragilité. Le contenu a été développé avec les personnes qui ont participé pendant plusieurs mois à des ateliers animés par la metteure en scène et son comparse, artiste du son.
Ensemble, ils ont partagé histoires, souvenirs, chansons, regrets, petits et grands bonheurs. Ils se présentent maintenant sur scène en toute simplicité, sans apitoiement, sans pathos aucun, dans un environnement scénique d’une étrange beauté, pour nous offrir ce moment lumineux, tout en tendresse et en délicatesse, et qui suscite une profonde émotion.
Durée 1h10
En marge des spectacles :
Entretien avec les artistes, samedi 3 juin
Achat à l'unité : 49,50$
* Taxes et frais de service inclus
La version originale du spectacle a été créée à Usine C en mars 2016.
Notre critique.
Production L'eau du bain
Coproduction Usine C
Caserne Dalhousie
103 Rue Dalhousie
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne
Créée en 2015 à l’Usine C à Montréal (lire notre critique), la désarmante Nous voilà rendus de la compagnie L’eau du bain faisait suite à Impatience, pièce qui donnait la parole à trois adolescents. Cette fois-ci, Anne-Marie Ouellet et son complice Thomas Sinou proposent de tendre l’oreille à cinq personnes âgées, habitant la résidence privée pour aînés St-Patrick, sise sur Grande-Allée.
La metteure en scène s’est intéressée à la fragilité de la vieillesse lors de ses visites hebdomadaires, puis mensuelles, à son oncle Luigi, atteint d’Alzheimer. La pièce débute ainsi, avec l’histoire de cet homme qui perd doucement la mémoire. Un ancien musicien de croisière, qui s’est ensuite établi au Québec et qui s’est marié à Marie-Rose, et qui est devenu enseignant de judo et d’aïkido. Un homme encore très en forme, mais dont les souvenirs s’embrumaient. Puis, sur l’air des Feuilles mortes de Jacques Prévert, entrent en scène Mme Justyne Boutin, qui nous parle de Marcel, l’amour de sa vie, grand roux rencontré sur les lieux de son travail ; Mme Claire Nolet, ancienne technicienne de laboratoire, qui déclare ne pas vouloir vivre « cinq fois 20 ans » tout en se remémorant les nombreux va-et-vient entre la maison de Québec et celle de Château-d’Eau ; Mme Claudette Cantin, treizième d’une famille de 14 enfants, dont le père travaillait sur les trains à «Charny-les-chars» ; M. Georges Audet, cheveux argentés et barbe blanche à la magnifique voix grave et posée, qui croyait sa vie tracée d’avance, dans les ordres, puis qui devint libraire, et Mme Pauline Ouellet, qui se rappelle avec bonheur de la maisonnée toujours remplie de musique. Assise à l’avant-scène, Anne-Marie Ouellet les guide doucement en les interrogeant sur leur vie, leurs parents, leurs enfants. Les souvenirs affluent : les pivoines du paternel, que la mère coupait chaque matin, au grand dam de l’homme ; la saveur d’une Coffee Crisp de l’époque provenant du 5-10-15 de la rue St-Jean ; la noyade d’une amie qu’on a tenté de sauver ; le livre Mme Bovary de Flaubert caché sous la jupe, pour être sûr de le sortir de l’Institut canadien (maintenant la Maison de la littérature). Sans artifice, les cinq sympathiques participants non-acteurs se révèlent avec beaucoup de naturel et d’humour ; comme les Anglais disent, c’est un vrai trip down memory lane.
Dans une certaine poésie toute mécanique et visuelle, Nous voilà rendus parle aussi de l’absence, grâce à quatre fauteuils roulants motorisés et éclairés qui sillonnent la scène, dansant parfois sur des airs de violons. Ils roulent doucement, s’arrêtant ici ou là, transportant des fantômes, les esprits de celles et ceux qui ont participé au projet sans pouvoir être présents sur scène, ou alors évoquant les personnes qui disparaissent, chaque jour, dans l’oubli. Quelques transitions s’avèrent un peu longues, sans pour autant altérer la pertinence de leur propos.
La conception sonore de Thomas Sinou amalgame avec brio musique électronique, traditionnelle et chanson d’antan, bruits d’ambiance et sons lancinants, plus inquiétants. Jumelée à la conception visuelle de Nancy Bussières (éclairages) et Hugo Dalphond (vidéo), un monde unique, onirique, naît dans la fumée rampant sur la scène de la Caserne Dalhousie, celui d’un passé qui se fait présent, et d’un futur auquel nous devrons tous et toutes se mesurer.
La représentation n’est certes pas parfaite – on se trompe (rarement, mais cela arrive), on cherche le fil de son idée qu’on a échappé –, mais c’est exactement pour cette raison que Nous voilà rendus s’avère aussi émouvant, vivant, attachant que singulier.