Texte, mise en scène et interprétation : Luisa Pardo + Gabino Rodríguez
Critique de David Lefebvre
Les eaux disparues
Présentée pour la première fois hors du Mexique, la pièce Asalto Al Agua Transparente, du collectif Lagartijas Tiradas al Sol, se veut une constatation froide, presque défaitiste, de l’environnement de Mexico City. Les comédiens Luisa Pardo et Gabino Rodríguez nous exposent, dans un style parfois détaché, mais qui ne manque ni de charme, ni d’humour, l’entêtement d’un peuple contre la nature, l’ampleur du désastre écologique et social majeur que cela a causé et cause toujours et la prise de conscience d’une jeunesse de plus en plus seule dans une ville envahissante et dangereuse.
Deux histoires se croisent, dans ce récit : la grande, celle de Mexico, et la petite, celle d’une jeune femme qui arrive en ville pour y étudier, y vivre, sans pouvoir réaliser ses rêves. Elle cherche les fameux lacs disparus, en compagnie d’Ixca qu’elle rencontre au hasard. Entre la visite touristique et le conte historique, Asalto Al Agua Transparente résume la bouleversante histoire de cette ville de millions d’habitants. D’une part, on nous indique les faits. L’an 1111 avec l’exode aztèque dans tout le pays pendant 200 ans, l’édification d’une ville, au milieu de cinq lacs, qui paraîtra enchantée, mais qui sera pratiquement maudite ; l’arrivée de Cortés, la construction d’une cité encore plus grande, plus prospère, plus vulnérable à l’eau qui s’infiltre partout, causant inondation, maladie, mort. Puis les combats contemporains, du 17e siècle jusqu’à aujourd’hui, contre l’environnement, faisant disparaître près de 1990 km2 d’eau salée et d’eau douce autour de la ville. L’endroit marécageux devient désert, et le peuple est assoiffé.
Les couleurs du pays sont présentes sur scène, au travers des accessoires qu’on pourrait trouver dans les dépotoirs de la ville – canettes, seaux, caisses de bois. Des objets sont suspendus, tels des piñatas égarées, des souvenirs incertains. Asalto Al Agua Transparente démontre avec austérité les erreurs d’un peuple qui voulait dompter son environnement, gagner sur la nature, mais qui perd à son propre jeu ; de l’utilisation hypocrite de l’eau potable et des besoins démesurés d’une ville qui ne se contrôle plus. Mais la pièce aborde aussi les problèmes d’ordre générationnel de ces jeunes Mexicains urbains à l’avenir sans promesses, de plus en plus isolés. Ici aussi, les chiffres et statistiques mis de l’avant par les deux comédiens parlent d’eux-mêmes, et ils sont parfois effarants.
Spectacle qui ne fait pas nécessairement dans la plus grande subtilité– quoique les images sont drôlement efficaces, il faut voir, par exemple, comment la scène se transforme en véritable champ d’ordures pour représenter l’état de la ville – Asalto Al Agua Transparente propose tout de même une intéressante réflexion désenchantée, tout aussi irrationnelle que réaliste, un voyage certes minimaliste, presque anti-spectaculaire, froidement documenté et émotionnellement chargé, que le duo transpose à la scène de manière tout aussi sobre qu’éclatée.