FTA 2010 - Domaine public

Création de Roger Bernat/FFF

Critique de David Lefebvre

Jeu de société grandeur nature ou réflexion sur les questionnements inconscients qui nous assaillent chaque jour, dont les réponses nous modèlent, qu’on le veuille ou non ? Quoi qu’il en soit, la création Domaine public de la figure de proue du théâtre catalan, Roger Bernat, est tout sauf prétentieux. Au moment de se présenter, billet en main, on nous prête un casque sans fil. L’événement peut alors commencer dès que les participants se regroupent au son d’un sifflet au centre de la place prévue. Puis, les questions fusent : qu’elles soient familiales, personnelles, professionnelles, géographiques, anodines, embarrassantes, philosophiques, on rit, on réfléchit, on est ébranlé dans nos convictions. Et on répond, par le geste ou non-geste qu’on nous demande de faire. Vous vous souvenez du dernier french kiss de vos parents ? Avez-vous des enfants ? Êtes-vous nés à Montréal ? Chaque réponse assemble un groupe, le défait, forme des pairs, les désassemble. Les mouvements créent une chorégraphie amusante pour les participants, qui jouent le jeu avec une sincérité désarmante. L’expérience est paradoxale : l’individu est isolé dans son univers sonore, le casque sur les oreilles, et pourtant, il fait toujours partie d’un groupe, d’une assemblée de gens qui répondent la même chose que lui. Il y a autant d’introspection qu’un certain voyeurisme candide. L’intime devient public. Et le tricheur se fait prendre au piège.

Certaines réponses amènent les « spect’acteurs » à adopter un accessoire : un gilet, un masque, une couverture. Grâce (ou à cause) de nos choix, de notre nationalité, de notre rang social, nous obtenons, dans le jeu, un statut, qui prend tout son sens dans la deuxième partie. Nous endossons alors un personnage, un rôle, et les consignes deviennent plus directives. Une certaine conscience sociale s’immisce dans le jeu, même si ce n’est pas l’enjeu principal de l’événement. D’ailleurs, le spectacle commence avec La Flûte enchantée de Mozart, et on nous explique qu’il l’a écrite pour divertir le public ; les concepteurs répondent ainsi à ceux et celles qui veulent trop analyser et réfléchir, et ils disent : amusez-vous !

Par Domaine public, Roger Bernat met en scène un théâtre participatif ludique, original, saugrenu : «l’homme est le propre acteur de sa vie». Nous interprétons l’action, et nous l’observons tout à la fois. Captivant.

03-06-2010