Un spectacle de Daniel Veronese
Adaptation de Maison de poupée de Henrik Ibsen
Adaptation et mise en scène Daniel Veronese
Critique d'Olivier Dumas
De La maison de poupée du Norvégien Henrik Ibsen créée en 1879, le metteur en scène argentin Daniel Veronese en a extirpé tout le contexte historique, politique et social. Seule une trace du réalisme psychologique emblématique de l’immense dramaturge laisse entrevoir un lien avec El desarrollo de la civilización venidera, une production de haute tenue qui clôt en beauté cette édition du Festival TransAmérique.
Les relectures contemporaines des œuvres du répertoire ne donnent pas toujours des résultats très heureux. Ici, c’est tout le contraire. Car l’un des principaux intérêts de ce spectacle demeure son acuité à dépeindre une société aussi engoncée dans ses dogmes idéologiques qu’à l’époque d’Ibsen. La femme soumise aux diktats du mariage d’il y a deux siècles prend les traits de l’assujettissement à une crise économique dérèglementée par les entreprises et grands financiers. Dans cette Argentine du 21e siècle, Nora, l’héroïne de la pièce, symbolise à priori la femme émancipée avec ses fringues moulantes, ses bijoux clinquants, ses énergiques pas de danse. Ancien avocat acculé à la faillite, son mari s’est recyclé comme banquier. Dans un décor de cuisine qui rappelle ceux du Théâtre Jean-Duceppe, leur couple issu de la bourgeoisie s’effondre, preuve que le capitalisme sauvage détériore également les relations intimes.
La grande force de cette œuvre théâtrale de 80 minutes demeure certainement la direction d’acteurs de Veronese, aussi pétillante dans ses moments cocasses que douloureuse dans les passages dramatiques. Ses interprètes insufflent toujours les émotions justes.
La programmation du FTA comparait l’univers d’El desarrollo… à ceux des telenovelas latino-américains. Pourtant, avec leurs costumes quotidiens et drames très réalistes, les personnages de la pièce ne s’apparentent en rien aux invraisemblances des soaps d’après-midi.
La foudroyante violence de la scène finale ne laissera pas insensibles même les cœurs les plus endurcis. Et contrairement aux représentations de Milles anonymes ou de Neutral Hero auxquelles l’auteur de ces lignes a assisté, personne n’a quitté la salle avant les applaudissements nourris qui ont succédé à la tombée du rideau.
Au 19e siècle, Ibsen dénonçait l’emprisonnement de la femme sous le joug machiste de la société conservatrice et de la religion. En 2011, la tragédie d’El desarrollo de la civilización venidera démontre la destruction des individus par le pouvoir entre les mains de quelques financiers mâles. La liberté a-t-elle progressé pour autant?