FTA 2011 - El final de este estado de cosas, redux

Un spectacle de Compañía Israel Galván
Chorégraphie et interprétation Israel Galván
Direction artistique Pedro G. Romero - Máquina Ph
Mise en scène Txiki Berraondo

Critique de David Lefebvre

La danse comme libération ultime d'une peur aux racines bien ancrées au fond de soi. Celle de la mort, de l'Apocalypse par saint Jean, l'angoisse d'un garçon à qui on lisait la Bible chaque matin, et qui en fut imprégné. Le chorégraphe et danseur sévillan, Israel Galván, nous propose la fin de l'état de toute chose, traduction littéraire de son plus récent coup d'éclat, El final de este estado de cosas, redux. Pourquoi redux? Pour rendre hommage à Apocalypse Now, de Coppola. Parce que selon Galván, il passe au travers la scène comme le personnage de Martin Sheen qui traverse la rivière Nung, une odyssée vers une certaine rédemption.

C'est une vidéo d'une ancienne élève, la talentueuse Yalda Younes, qui a d'abord inspiré Galván. Younes y danse, en empruntant humblement les pas de son professeur, sur fond sonore de guerre, enregistré lors des bombardements israéliens dans son Liban natal. Elle y exprime sa rage, son impuissance, qu'elle expulse de son corps outré. Un exorcisme dont nous sommes aussi témoins, projeté tout de suite après le tableau d'ouverture, sur la moitié gauche de la scène. Ce témoignage douloureux pousse Galván à affronter lui aussi ses démons et ses terreurs ; en résulte un spectacle puissant, transcendant, où chaque pas, chaque zapateado, interprète à sa manière un passage, un mot des écritures de saint Jean. L'homme propulse encore une fois le flamenco loin du cliché des lamentations et des fêtes de rue ; il crée un langage hybride, jumelant d'autres formes d'expressions corporelles, pour expérimenter la mort dans tous ses états.

Pour preuve, El final commence par un numéro de butô japonais, pieds nus, dans le sable. Masque en place, au faciès défiguré, le corps de Galván se désarticule, se tord, s'enlaidit, se métamorphose en créature du néant. Convulsions, révulsions, c'est le théâtre des tourments. Suivent des tableaux qui frappent l'imaginaire et qui hantent encore le spectateur bien après la représentation. C'est une fin du monde : tremblement de terre, le danseur s'exécute sur un plancher mobile, trampoliné, d'une vibrante fougue. Il apparaît ensuite en putain de Babylone, boule disco, musique métal hurlant, gracieuseté du groupe espagnol Orthodox. Désintégration d'un tambour, furieuse tarentelle italienne, l'homme affronte finalement en face la mort en dansant dans sa propre tombe. Entre quatre planches, c'est l'ultime bataille d'un corps appelant la vie de toute ses forces, perdant peu à peu de son ardeur ; bouleversant. Séparé, donc, en cinq parties, El Final est une furieuse traversée, même si certaines chorégraphies mériteraient un resserrement. En éliminant ainsi une ou deux longueurs, les moments plus charnières, plus viscérales de l'histoire, se verraient être encore plus saisissants. 

Accompagné par 11 musiciens qui occupent une place de choix dans ce El Final, dont les fidèles Inés Bacán et Juan José Amador au chant, le génialissime Alfredo Lagos à la guitare et José Carrasco aux percussions, Israel Galván ne suit pas la musique, c'est elle qui s'appuie sur son rythme pour exister. Tout semble provenir du corps du danseur, chaque mouvement magnifiant l'environnement sonore et visuel immédiat.

À 38 ans, l'homme à qui l'on doit une modernisation presque salvatrice du flamenco est au faîte de sa forme et possède une technique unique et identifiable au premier coup d'oeil. Il avait littéralement captivé et conquis la critique et la foule en 2007 lors de la première édition du Festival TransAmériques, avec son spectaculaire Arena. Explorant la mort sous un tout autre angle, une thématique qui revient souvent chez Galván, il s'aventure ici dans des zones beaucoup plus sombres et denses ; en résulte une danse avec la mort dont personne n'en sort indemne.

28-05-2011