FTA 2011 - Lanx + Obvis + Nixe + Obtus

Deux spectacles de Cie Greffe
Chorégraphies Cindy Van Ackert

Critique de Daphné Bathalon

On dit de Cindy Van Acker, chorégraphe d’origine flamande mais habitant la Suisse, qu’elle s’adresse moins à l’intellect qu’aux perceptions. On aurait tort en effet de chercher dans les quatre des six soli présentés au FTA, à vouloir élaborer à tout prix des bribes d’histoires auxquelles se raccrocher. Pour un public de théâtre, la tâche est rude. Le spectacle de Van Acker touche la recherche pure du mouvement. Il faut être attentif aux gestes, aux jeux de lumière, à la musique, s’accrocher jusqu’à ce que l’esprit, lui, décroche du sens et s’agrippe aux mouvements. Tandis que, engourdi, on cesse de réfléchir, les gestes lents ou rapides des danseuses se fragmentent et se multiplient. Un simple mouvement du bras se décline alors en dizaine de petits déplacements dans l’espace. Les visages, ici, n’ont pas d’histoires ni d’émotions. Fixes, ils disparaissent souvent dans l’ombre.

Dans Lanx (plateau), Cindy Van Acker exécute elle-même sa chorégraphie, un surprenant duo avec le sol. On ne voit que sa silhouette verte sur la surface toute blanche, puis ses bras s’animent. Dans un mouvement d’abord lent puis rapide et à nouveau lent, elle crée une succession de gestes avec les bras, qu’on dirait détachés de son propre corps. L’arythmie des mouvements laisse croire que le corps n’exerce plus aucun contrôle sur les membres alors que la chorégraphe fait montre d’une parfaite maîtrise. Tandis que nos yeux suivent à la trace les déplacements de Van Acker, nos oreilles sont captives de la bande sonore signée Mika Vainio. Les grésillements, de plus en plus forts et présents, sont peu à peu envahis par un bourdonnement qui confine à l’acouphène dans les dernières minutes de la chorégraphie. C’est à ce moment que les spectateurs se redressent et fixent toute leur attention, auparavant chancelante, sur ce qui se passe sur scène. La danseuse poursuit ses mouvements au sol tandis que la lumière diminue, donnant l’impression d’un mouvement perpétuel. Une finale saisissante pour ce premier solo.

Il est suivi, après une courte pause, d’Obvie. Dans ce solo, le corps de la danseuse Tamara Bacci ploie lentement et s’étale au sol. Chaque série de neuf mouvements de base qu’elle exécute est répétée inlassablement, à différentes vitesses, si bien que les gestes semblent parfois angulaires, parfois courbes selon la vitesse d’exécution. Toujours, le corps paraît vouloir s’arracher au sol, mais y revient, irrémédiablement attiré. C’est un solo plus difficile à apprécier, du fait de la répétition des mouvements qui lasse rapidement.

Le second spectacle, présenté une heure plus tard, propose deux autres soli. Dans le premier, Nixe (nymphe aquatique), deux rampes de néons, une horizontale et une verticale, découpent la silhouette de la danseuse Perrine Valli au fur et à mesure qu’augmente leur luminosité. Toute la scène est plongée dans le noir et seules ces sources lumineuses éclairent tour à tour les membres de la danseuse dont les mouvements lents évoquent une danse aquatique. L’œil doit constamment s’efforcer de capter les gestes dans la semi-pénombre. Là aussi, la répétition des gestes lasse cependant, et la bande sonore, moins nuancée que pour Lanx, crée un effet hypnotique auquel il est difficile de résister.

La série proposée par Van Acker se termine avec Obtus, dans lequel une ligne horizontale de néons dévoile peu à peu le profil de Tamara Bacci. Rien, en dehors de ce qui est éclairé ne semble exister. Un demi-corps flotte ainsi au-dessus de la lumière, sans attaches. Chaque mouvement qui l’éloigne de la lumière le fait disparaître. À la fin, seul un membre isolé, tantôt un bras, tantôt un pied, parfois émerge de la noirceur. Un visage de profil apparaît brièvement, puis est avalé par l’obscurité comme si elle était opaque. L’image n’est pas sans rappeler le travail de Denis Marleau avec l’ombre et la lumière. Quand la lumière n’éclaire plus que faiblement le corps de la danseuse, celle-ci devient une étrange bête à quatre pattes, notre esprit tentant de reconstituer son humanité sans y parvenir.

La musique, les jeux de lumière, la répétition des gestes et les variations de rythme concourent à rendre l’expérience à la fois saisissante et déroutante. Pour quiconque cherche à trouver un sens aux mouvements, la partie est perdue d’avance, mais pour peu que l’on accepte de n’y voir que la beauté du mouvement en soi, on explore avec Cindy Van Acker le corps dans toutes les possibilités de mouvement qu’il offre.

04-06-2011