Un spectacle de New York City Players
Texte, mise en scène, composition Richard Maxwell
Critique de Daphné Bathalon
Le son des mots
Neutral Hero : le héros neutre qui, ne parvenant plus ni à ressentir ni à exprimer d’émotions, tente de comprendre pourquoi il les a perdus. Sur son chemin, il rencontre de nombreux personnages, des inconnus ou des membres de sa famille. Aucun n’exprime d’émotions comme si l’insensibilité du héros les avait également atteints. Toute trace de sensibilité semble avoir disparu. « Je veux ravoir des sentiments, je dois y arriver d’une manière ou d’une autre ». Le récit de l’épopée du héros n’est alors qu’une longue description de près de deux heures, d’abord du ciel et de la ville, petite bourgade américaine typique, puis des actions des personnages.
Sur scène, la troupe de 12 comédiens amateurs occupent l’espace vide. Ils sont noirs, blancs, jeunes, vieux, représentent New York et sa diversité. Toujours en scène, ils demeurent parfaitement neutres, assis sur leur chaise. Ils ne se lèvent que lors de leur tour de parole et conservent alors cette attitude détachée, ces voix atones. Malgré tout, parce que le théâtre est à la fois fiction et réel, le spectateur tend à attribuer des émotions aux expressions et aux mots. Cependant, Richard Maxwell dirige parfaitement ses comédiens. Le récit a été dépouillé du moindre élan dramatique. Seule la musique échappe à ce lissage, bien que les comédiens chantent sans afficher d’expression. Les banjos, guitares et percussions ramènent alors un peu de vie dans l’histoire.
« Il y a un paradoxe dans l’idée de porter à la scène quelque chose de neutre : c’est irritant, provocant » le reconnaît lui-même le metteur en scène. Et, en effet, le soir de la première représentation, une dizaine de spectateurs ont quitté la salle. À la sortie du théâtre, d’autres faisaient entendre leur mécontentement et leur incompréhension : aller au théâtre, c’est observer la vie, tenter de s’y raccrocher, mais à quoi peut-on s’accrocher lorsqu’aucune émotion n’est exprimée? Il faut être excessivement attentif au son des mots, à ce qu’ils communiquent malgré leur apparente neutralité, pour apprécier le spectacle, son rythme inhabituel (le temps semble ralentir) et ses silences. On est loin de l’urgence qui anime la société moderne et de son tourbillon de cris, de pleurs, de déchirements de chemise. Neutral Hero a ceci de bien qu’il permet de se concentrer sur le texte, de n’écouter que les mots et ce qu’ils disent vraiment.
Ainsi, malgré l’ennui ou la frustration qui peuvent surgir à l’écoute de ce récit, neutre mais jamais froid, il fait bon profiter de l’état de suspension, hors de toute émotion, proposé par Richard Maxwell et New York City Players.