Un spectacle de Schaubühne Am Lehniner Platz
Mise en scène et chorégraphie Falk Richter et Anouk Van Dijk
Critique de David Lefebvre
Depuis sa renaissance officielle, le FTA conjugue de merveilleuse façon plusieurs disciplines artistiques, dont plus spécifiquement la danse et le théâtre. Trust, le spectacle d’ouverture de cette 5e édition du TransAmériques, est un exemple des plus judicieux pour démontrer cette tangente amorcée en 2007.
Écrite lors de la crise économique mondiale qui a sévi aux États-Unis et en Europe, Trust questionne et réfléchit sur la désillusion, sur la perte de confiance envers les instances économiques, et à plus petite échelle, sur cet accablement envers les relations amoureuses qui se consomment, comme tout autre produit du marché. Un marché, finalement, en plein effondrement. Le constat en est presque désespérant : peut-on croire encore en quelque chose ou en quelqu’un ?
Grâce au génie de ses créateurs, Falk Richter aux textes et Anouk Van Dijk aux chorégraphies, Trust, créée à partir d’improvisations,est un sublime mariage de la sensibilité de la danse et de la richesse des mots et du jeu théâtral. Ainsi, les deux disciplines ne font pas que cohabiter, elles respirent ensemble, se parlent, s’enrichissent mutuellement. On sent le cynisme et le mordant de Richter dans chaque monologue, chaque dialogue, aussi creux soient-ils. Les échanges ne sont pas dénués d’humour, au contraire. Cinglants, plusieurs touchent la cible, comme ce groupe qui tente de sortir de son engourdissement en tentant de japper de façon agressive. Une certaine poésie se dégage aussi, dû aux phrases courtes, simples, et à la répétition de quelques passages par les comédiens. Malheureusement, je ne pourrai décrire davantage et plus en profondeur l’apport réel du texte sur la pièce. D’où j’étais, à l’extrémité de la salle, vers l’arrière, les surtitres étaient totalement illisibles, trop pâles parfois, et projetés toujours trop petits. Je n’ai pu capter que des bribes, ici et là. Et comme la langue de Goethe m’est passablement incompréhensible, mon attention – et celle de toute ma section, il va sans dire – s’est alors fixée sur la scène. Anouk Van Dijk, la créatrice de la contre-technique, qui associe un mouvement et son contraire, crée ici une édifiante chorégraphie qui non seulement accompagne le texte, mais le transcende, le dépasse. Les corps sont flasques, lâches, ou alors témoignent d’un constant déséquilibre. Les interprètes offrent une performance terriblement solide, sentie. Certains portés sont sidérants ; il faut voir comment Judith Rosmair est empoignée sans ménagement, telle une poupée, transportée et lancée. La finale, où enfin on arrive à une certaine symbiose des gestes, touche, sans contredit.
La scénographie de Katrin Hoffman offre beaucoup d’espace aux danseurs et comédiens. La structure rappelle un loft que l’on pourrait situer dans un entrepôt. Mais s’il y a bien une construction qui épate du début à la fin, c’est sans nul doute celle de l’environnement sonore composé par Malte Beckenbach. Savoureuse combinaison d’éléments acoustiques et électros, la musique de Beckenbach, interprétée sur scène par le musicien, est d’une qualité exceptionnelle.
C’est une performance visuellement captivante que nous proposent les concepteurs et les artisans de Trust, de la légendaire Schaubühne Am Lehniner Platz de Berlin. Un affligeant conte contemporain, aux tableaux parfois absurdes, qui relate avec intelligence cette crise majeure qui ébranle notre société moderne dépourvue de relations de confiance tangibles et réelles.