L’identité à contre-jour
Pionnier de la danse contemporaine au Maroc, Taoufiq Izeddiou fait son entrée en Amérique du Nord avec une œuvre qui rue dans les brancards du conformisme chorégraphique. Animé de la rage des corps et des esprits trop longtemps tenus au silence, il se bat comme un diable dans le contre-jour d’une triple rampe de projecteurs braqués vers l’arrière-scène. Homme sans visage aux prises avec d’invisibles ennemis. Silhouette anonyme assoiffée de lumière et d’espace. Il joue des poings, des hanches, des pieds, de la voix. Pris dans les entrailles de sa propre histoire, il cherche une sortie. Bientôt, il fixera le soleil avec la fougue et l’insolence de ceux qui n’ont plus rien à perdre.
Portée par la vague du Printemps arabe, Aaléef actualise les traditions et questionne les possibles au seuil d’une liberté nouvelle. Taoufiq Izeddiou y affirme une identité chorégraphique originale, forte et assumée.
Taoufiq Izeddiou
Transcender les traditions
C’est à Marrakech, sa ville natale, que Taoufiq Izeddiou se découvre une passion pour la danse contemporaine après quelques cours de classique et de jazz moderne. Au fil d’une formation qu’il qualifie de « sauvage », il trouve des maîtres dans les figures de chorégraphes comme Joseph Nadj, Daniel Larrieu, Héla Fattoumi et Éric Lamoureux. La rencontre du Franco-Guyano-Vietnamien Bernardo Montet, directeur du Centre chorégraphique national de Tours, lui ouvre la scène professionnelle en 1997. Pendant huit ans, ils partageront leurs questionnements sur l’origine et sur l’identité.
Parallèlement à sa carrière de danseur, Taoufiq Izeddiou signe sa première chorégraphie en 2000. L’année suivante, le solo Danse Nord le place sur la carte du monde chorégraphique. En 2003, le succès de la pièce de groupe Fina K’enti dans les communautés arabes l’incite à fonder Anania, première compagnie de danse contemporaine au Maroc, avec les chorégraphes Bouchra Ouizguen et Said Aït El Moumen. Deux ans plus tard, il crée le festival de danse On marche, et la mise en place d’un nécessaire programme de formation le décide bientôt à passer son diplôme d’État en France pour renforcer ses compétences pédagogiques. Toujours à cheval entre les deux pays, il crée des œuvres qui explorent l’hypocrisie sociale, les tensions entre tradition et modernité, entre nord et sud, et qui libèrent les corps à la faveur de la nuit. Après Cœur sans corps, Déserts désirs et Aataba, entre autres, Aaléef est sa neuvième création.
Section vidéo
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Musique live Maâlem Adil Amimi
Conception sonore Guy Raynaud
Lumières Taoufiq Izeddiou
Photo Dimitri Tsiapkinis
Rédaction Fabienne Cabado
Création au Festival Danse d'ailleurs, Caen, 31 mars 2011
Durée : 45 minutes
Tarif régulier : 20 $
30 ans et - / 65 ans et + : 20 $
Forfaits en vente 15% à 40% de réduction
En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 5 juin
Coproduction Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France (Rabat), Institut français (Paris), Centre National de la danse (Pantin), Centre chorégraphique national de Tours, Centre chorégraphique national de Caen, Scène Nationale de Bonlieu (Annecy), Mission départementale de la culture de l'Aveyron, MJC Rodez
Avec le soutien de Officina et Kelemenis & cie (Marseille)
Présentation avec le soutien de Institut Français (Afrique et Caraïbes en Création)
Prospero
1371, rue Ontario est
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par Olivier Dumas
Danseur, chorégraphe et fondateur d’un festival de danse dans son pays, le Marocain Taoufiq Izeddiou présente son intrigant spectacle Aaleef pour la toute première fois sur le sol nord-américain. Très courte (environ 45 minutes), sa proposition demeure une curiosité charmante, mais qui au final ne laisse pas de traces indélébiles.
Le titre, Aaleef, fait référence à la première lettre de l’alphabet arabe. La démarche artistique du solo se veut une remise en question des balises, contraintes et traditions rattachées à la danse d’autant plus que son instigateur n’a pas le physique traditionnel de l’emploi. Sa chorégraphie s’imprègne des bouleversements sociopolitiques occasionnés par le « Printemps arabe » qui a réveillé une population longtemps emmurée dans le silence.
En pénétrant dans la salle du Prospero, le spectateur est frappé d’emblée par la faible intensité de la lumière de la triple rangée de projecteurs dirigés vers l’arrière-scène. Dans la pénombre, le danseur-chorégraphe s’avance, chute à plusieurs reprises sur le sol. La répétition du même geste crée parfaitement cette sensation désirée de tension et de rébellion qui donne de la force, de l’intérêt et de la fougue pour le premier quart d’heure de la représentation. La musique sur bande qui accompagne cette séquence ajoute une distorsion intéressante entre les mouvements énergiques et l’environnement scénographique toujours appropriée. Pour rendre concrètes les ramifications entre la tradition et le monde contemporain, le musicien gnawa Maâlem Adil Amimi s’invite sur le plateau avec son gambri, instrument conçu à partir de cordes d'intestins de chèvres, de la peau de la nuque du cheval et du bois de l'acajou.
Par contre, la fougue de l’ensemble s’égare dans le dernier quart d’heure. Alors que le gambri cède le pas à la guitare électrique, Taoufiq Izeddiou se travestit en femme. Avec sa robe sexy noire moulante, sa sacoche, ses lunettes de soleil brillantes et son rouge à lèvres, il s’éclate dans une séquence parodique qui a le mérite de ne pas trop se prendre au sérieux. Bien que les intentions soient bonnes, elles manquent de force et de la poésie qui ont ponctué les parties précédentes. Il s’en dégage l’impression à ce moment-là que l’artiste ait voulu s’éclater et se faire plaisir. Certains auraient préféré que cette caricature transcende les clichés volontairement véhiculés sur la dualité entre féminité et masculinité comme le réussissent à la perfection les meilleures drag queens. Quelques-uns des spectateurs ont même quitté la salle avant la fin du spectacle. Peu de temps avec la tombée du rideau, le chorégraphe s’est permis la fantaisie de s’amuser avec une immense lumière rouge allumée qu’il brandit vers la salle comme le lasso d’un cowboy avant de la déposer sur sa tête. L’image frappe l’imaginaire.
Sympathique, Aaleef nous permet une initiation au travail de Taoufiq Izeddiou. Même si toutes les promesses ne sont pas remplies ici, sa prochaine création pour cinq danseurs devrait s’intituler Rev'illusion. Prévue en 2013, elle espère secouer le cocotier dans l’esprit frondeur de son instigateur.