Pour la suite du monde
Athènes. Ville mythique au présent explosif. Antigone, Créon et Polynice s’y retrouvent, au coeur de la tourmente. Si Polynice arbore un chandail des Sex Pistols, cette Antigone du XXIe siècle danse éperdument sa révolte sur des airs tapageurs. Elle réclame justice pour tous les Polynice de la terre. Particulièrement pour cet adolescent de 15 ans, Alexandros Grigoropoulos (Alexis), dont la mort sous le feu des policiers au cours d’une manifestation a généré les tumultes qui ébranlent la Grèce depuis 2008.
À la poésie tragique de Sophocle revisitée par Brecht, concentrée en quelques phrases coup-de-poing, se greffe un portrait effervescent du contexte politique européen actuel. Parce que la compagnie italienne Motus refuse que soient sacrifiés d’autres Polynice, elle exhorte à l’insurrection. Chorégraphies frénétiques, graffitis, témoignages, éclairages écarlates font vibrer ce happening théâtral d’une urgence bouleversante. Alexis. Una tragedia greca possède indiscutablement la puissance inflammable requise pour embraser l’insoumission. Son arsenal d’allumage : l’indignation, la fureur et l’espoir.
Enrico Casagrande et Daniela Nicolò
Artistes sans frontières
Pour la compagnie italienne Motus, il n’existe pas de frontières. Ni entre les pays, ni entre les époques, ni entre les disciplines, ni entre l’art et l’engagement social. Libres penseurs ayant parcouru les scènes du monde, la dramaturge Daniela Nicolò et le metteur en scène Enrico Casagrande, à qui l’on doit la création de Motus en 1991, associent la vidéo, les installations, la poésie et la danse à leur théâtre. Qui plus est, ils intègrent les oeuvres ayant marqué l’histoire (Splendid’s, de Jean Genet ; Théorème, de Pier Paolo Pasolini ; Preparadise Sorry Now, de Rainer Werner Fassbinder) à des productions d’une contemporanéité achevée, où l’innovation artistique et la prise de position politique ne font qu’un.
L’indomptable originalité et l’incontestable qualité du travail de Motus lui ont valu plusieurs distinctions, dont le convoité Prix spécial Ubu. En 2002 et en 2005, la compagnie présenta respectivement CRAC et Twin Rooms à Montréal. Le FTA propose cette fois au public de la métropole Too Late! (antigone) contest #2 ainsi qu’Alexis. Una tragedia greca, deux des quatre spectacles, outre Let the Sunshine In (antigone) contest #1 et Iovadovia (antigone) contest #3, qui constituent le projet Syrma Antigónes. Élaboré entre 2008 et 2010, celui-ci consiste à cerner l’esprit d’Antigone, symbole d’intégrité et de révolte du peuple envers les autorités, qui subsiste parmi nos contemporains.
Section vidéo
une vidéo disponible
Assistant à la mise en scène Nicolas Lehnebach
Son Andrea Comandini
Lumières et scénographie Enrico Casagrande, Daniela Nicolò
Photo Valentina Bianchi
Création au Festival Vie Scena Contemporanea, Modène, le 15 octobre 2010
Durée : 1 h 10
Tarif régulier : 40 $
30 ans et - / 65 ans et + : 35 $
Forfaits en vente 15% à 40% de réduction
En parallèle
- 4 juin 12h30 - Théâtre et révolte - Rencontre avec DANIELA NICOLÒ + ENRICO CASAGRANDE (Too Late (antigone), contest #2 + Alexis. Una tragedia greca, Rimini).
Animation : Jessie Mills
Entrée libre - Quartier général
4 JUIN Rencontre avec les artistes après la représentation
Coproduction Emilia-Romagna Teatro Fondazione + Espace Malraux - Scène Nationale de Chambéry et de la Savoie + CARTA BIANCA Programme Alcotra de coopération France - Italie + Théâtre National de Bretagne (Rennes) + Festival delle Colline Torinesi
Avec le soutien de Province de Rimini + Regione Emilia-Romagna + MiBAC
Présentation en collaboration avec Place des Arts avec le soutien de Institut Culturel Italien de Montréal
Cinquième Salle
Place des Arts
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
Alexis, c’est Alexandros Grigoropoulos, un adolescent de 15 ans abattu par un policier le 6 décembre 2008 dans un quartier pauvre d’Athènes. Voilà le fait divers, devenu symbole, au cœur de la seconde production de la compagnie italienne Motus, présentée au FTA jusqu’à mardi à la Cinquième Salle de la Place des Arts.
Intitulée Alexis. Une tragédie grecque, la pièce parle pourtant tout autant de notre crise sociale que de celle qui a secoué la Grèce au lendemain de la mort tragique de l’adolescent. Elle parle du meurtre à l’origine d’une flambée de révolte dans toute la cité, et qui a révélé à quel point le pouvoir et les élites ont perdu les nouvelles générations, qui ne se reconnaissent plus dans leurs décisions et ne leur accordent plus leur confiance. Elle parle aussi d’Antigone, figure par excellence de la révolte contre le pouvoir en place, et de son frère Polynice, dont on a ordonné que le corps soit laissé aux chiens et aux vautours. À quoi ressemblerait Antigone aujourd’hui?, se demandent les comédiens. Est-elle ce quartier d’Athènes, Exarchia, représenté par un tapis carré rouge et immense, où la révolte gronde toujours? Est-elle cette révolte grecque – dont on ne sait pas encore si elle mènera à une révolution sociale?
Tandis que les comédiens cherchent à trouver une Antigone moderne, ils se demandent également quel est leur rôle par rapport à ce drame, si la dénonciation d’une injustice politique par l’art suffit. Les comédiens s’interrogent en citant, avec beaucoup d’à-propos, des extraits d’Antigone qu’ils livrent avec une justesse remarquable. L’intégration des dialogues se fait de manière si naturelle qu’une oreille non avertie s’y laisserait d’ailleurs prendre. Les questions éthiques soulevées par ce texte, vieux de plus de deux millénaires, résonnent encore aujourd’hui. La réponse des comédiens ne fait aucun doute : il faut passer de la révolte à la révolution, de la parole à l’acte. Il faut agir!
Le metteur en scène Enrico Casagrane sait parfaitement se servir des lieux mis à sa disposition ; on l’a déjà vu à Espace Libre avec Too late! Il se sert de tout l’espace, sans distinction entre la scène et la salle, pour donner un souffle puissant aux images évoquées et aux extraits cités. En ce sens, la Cinquième Salle sert à merveille le spectacle. Son hémicycle devient tout naturellement le prolongement de la scène, un véritable terrain de jeu pour les comédiens.
Oscillant entre le théâtre tragique et le théâtre documentaire, Alexis a recours à la vidéo pour appuyer la réflexion. Sous nos yeux s’étale le portrait d’une Athènes moderne où les murs sont devenus tout autant de tableaux parlant des revendications de la rue. Les images, tantôt immenses, tantôt miniatures, nous transportent au cœur de la ville et nous font entendre son cœur grondant, qu’illumine le feu ocre des émeutes.
En dernière partie, le public est appelé à réagir à ce qu’il vient d’entendre, à quitter son rôle placide de spectateur pour prendre physiquement position. Un appel auquel le public a répondu généreusement dimanche, créant un tableau au souffle électrisant, comme on en voit trop peu au théâtre.
Alexis remue. Alexis éveille. Alexis invite à transformer la révolte en révolution, à poser des gestes de construction une fois la colère exprimée, pour qu’Antigone ne se soit pas sacrifiée en vain. Et cette invitation nous précède à l’extérieur de la salle de spectacle sous la forme d’un long ruban rouge, qui nous mène jusqu’à l’esplanade de la Place des Arts pour que cette réflexion percutante ne se cantonne pas à l’espace clos du théâtre mais explose au-delà. Un spectacle lumineux et puissant.