Maîtres anciens
À cinq mètres du trottoir, des chaises blanches vissées aux murs des immeubles du Quartier latin. Y sont assises une dizaine de personnes âgées. L’une tricote, l’autre plie du linge, une troisième mange, toutes semblent flotter au-dessus de nos soucis de citadins. Elles enchantent le ciel montréalais par leur position étrange. La vieillesse devient poésie urbaine. Et réclame qu’on s’y attarde.
Accrochés aux immeubles de la rue Saint-Denis, ces anges mûrs témoignent du temps qui passe, abolissent la frontière entre l’art et la vie. On pourrait passer sans les remarquer, il suffit de lever la tête, de s’arrêter, de se laisser surprendre par ces aînés qui subliment l’espace urbain.
Artiste indisciplinée et interdisciplinaire, spécialiste d’interventionsin situ, l’Allemande Angie Hiesl a imaginé cette « exposition d’humains » afin que l’on contemple le troisième âge comme une œuvre d’art. Après avoir conquis les publics d’Europe et d’Amérique du Sud, la troupe s’intègre pour la première fois à l’architecture nord-américaine avec cette performance-installation joliment déconcertante.
Angie Hiesl
Cas public
Metteure en scène et chorégraphe, Angie Hiesl est également reconnue en tant que créatrice dans le domaine des arts visuels et de la performance. Active en Allemagne depuis les années 1980, elle multiplie les installations et a récolté de nombreux prix, dont le Cologne Honorary Theatre Prize de la SK-Foundation for Culture en 2001. En 1996, ses œuvres ont également été honorées du Förderpreis par le ministère de la Culture de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Elle propose son art dans des lieux publics : un pont, un ancien bain public, une gare, des couloirs de métros..., et s’intéresse depuis longtemps aux notions de flottement et de suspension.
x-fois gens chaise, créé à Cologne où habite l’artiste, a depuis été présenté dans des festivals partout en Europe ainsi qu’en Amérique du Sud. Primé au Festival international de théâtre de rue de Holzminden, le spectacle a aussi été primé au Festival de théâtre de Valladolid (Espagne).
Roland Kaiser
Angie Hiesl a fondé Angie Hiesl Produktion et collabore depuis 1997 avec le chorégraphe, metteur en scène et artiste visuel Roland Kaiser. Ils créent ensemble, entre autres, TWINS — how do I know I am me… (2001),un regard troublant sur la gémellité. Ils présentent des projets interdisciplinaires toujours influencés par l’espace urbain. L’art devient accessible à tous, pour autant qu’on veuille bien l’observer. La relation entre le corps et l’architecture, entre l’humain et son environnement, les passionne particulièrement. Une invitation à regarder la réalité autrement.
Section vidéo
une vidéo disponible
Direction technique Michael Blattmann
Photo Roland Kaiser
Rédaction Diane Jean
Création à Cologne, novembre 1995
Tarif : gratuit
En parallèle
L'art dans l'espace public
ANGIE HIESL +ROLAND KAISER (x-fois gens chaise, Cologne)
Animation : Stéphanie Brody
Vendredi 25 mai 2012 - 12 h 30
Français + anglais
Entrée libre - Quartier général
Coprésentation Quartier des spectacles
Avec le soutien du Goethe Institut, Ministère des Affaires étrangères de l’Allemagne
La présentation de x-fois gens chaise s’inscrit dans le cadre des activités marquant le 50e anniversaire du Goethe-Institut Montréal.
Quartier Latin
Annulé en cas de pluie
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par David Lefebvre
D'abord créée à Cologne, lieu de résidence de l'artiste multidisciplinaire Angie Hiesl, x-fois gens chaise est une installation vivante, ludique, qui s'est promenée à travers le monde. Pour sa première nord-américaine, ce déambulatoire inusité s'installe à Montréal jusqu'au 7 juin, sur la rue St-Denis, entre Ste-Catherine et Sherbrooke. Dix personnes (chapeau aux participants!), dix chaises, dix murs, des centaines de témoins.
C'est à l'intersection de St-Denis et Ste-Catherine que (je) commence le périple. À 15 h pile, un homme âgé grimpe le long d'une échelle qui l'amène à sa chaise blanche, bien fixée au mur, à cinq mètres du sol. On l'aide à se sécuriser, puis on retire l'échelle. L'homme, chapeau sur la tête, lunettes de soleil sur le bout du nez, un cahier bleu dans les mains, décide de prendre quelques notes. La foule se rassemble, le regarde. Deux policières en voiture de patrouille s'arrêtent ; la passagère sort son iPhone et prend, sourire en coin, une photo qu'elle présente à sa collègue. L'intérêt des passants est piqué, et la course aux chaises peut débuter.
Quelques pas plus loin, c'est une dame, foulard sur la tête, nonchalante, qui note aussi quelques pensées volatiles, peut-être. Coin St-Denis et Maisonneuve, côté ouest, un homme s'affaire à nettoyer ses souliers de soccer. En face, une dame lit, puis lève le regard qu'elle fixe au loin, vers l'est. C'est avec surprise, en traversant la rue, que l'on découvre son voisin direct, fixé sur le côté nord. Rue Emery, un homme, jeu d'échecs sur les genoux, manuel en main. De l'autre côté, dans l’Allée des bouquinistes, une femme plie des serviettes qu'elle pose sur sa tête, en équilibre. On hume les odeurs des cuisines des restaurants de part et d’autre de l’allée. Sur un mur près du bar le St-Sulpice, sous des lierres, une femme épluche des légumes. L'homme au coin St-Denis et Maisonneuve raccommode ce qui semble être des chaussettes. Plus haut sur la rue, une dame joue de l'accordéon.
C'est d'abord l'amusement de la situation qui nous apte, qui nous confond. Puis, la fascination. Celle de voir ces personnes du troisième âge au-dessus de nous, inflexibles, s'affairant à des tâches simples. En les plaçant ainsi, leur présence devient une forme d'art, de dénonciation ; le quotidien s'expose à la vue de tous et toutes. Hiesl utilise l’espace urbain comme scénographie et place ses personnages dans des positions presque périlleuses. Si notre concentration se pose quelques secondes, voire quelques minutes sur ces individus, la « performance » permet le contact humain chez les témoins. Les sourires s’affichent, on échange, on s’étonne. Puis on observe l’architecture riche et hétérogène du Quartier Latin, ses buildings de différentes inspirations, époques, construits de différents matériaux. Ces immeubles que l’on connaît pourtant par cœur nous apparaissent sous un tout autre jour. On lève les yeux du trottoir pour chercher ces chaises, mais pour voir, aussi, sa ville d’une tout autre manière. Et pour tout ceci, x-fois gens chaise vaut largement la peine de déambuler, le nez en l’air, rêveurs, hébétés, rieurs, le temps de quelques coins de rue.