Tout sur moi
Une comédienne se démène. Elle sourit, elle intrigue. Les mouvements qu’elle enchaîne tiennent étrangement de la gymnastique rythmique, et la musique live naïve qui l’accompagne surprend. Ils sont bientôt six, vêtus d’uniformes gris moyen, pour chanter avec elle la chronique d’une seule existence, à partir de l’absurde démesure du matériau de départ : un enregistrement téléphonique de 16 heures dans lequel une Américaine de 34 ans a entrepris de raconter sa vie. Toute sa vie. Et l’étonnant traitement narratif séduit : le récit brut, ponctué de digressions et d’hésitations, devient musical… Ode à la banalité doublée d’une sévère critique de l’hypermédiatisation et de l’industrie des stars d’un soir, ce spectacle musical nouveau genre nous décontenance et nous conquiert d’un même élan.
Avec Life and Times - Episode 1, le Nature Theater of Oklahoma, audacieuse compagnie new-yorkaise, est de retour au FTA après le saisissant Rambo Solo (2009) pour raconter la prime enfance (de zéro à sept ans !) de Kristin Worrall jusqu’à en faire le captivant portrait d’une génération.
Kelly Cooper et Pavol Liška
Off-off-théâtralité
Kelly Copper et Pavol Liška se sont rencontrés dans un cours sur le théâtre dadaïste au Dartmouth College, dans le New Hampshire. Couple dans la vie comme sur les planches, ils créent ensemble depuis plus de 15 ans. En 2003, ils fondent le Nature Theater of Oklahoma qui tire son nom d’une troupe mystérieuse offrant du travail à tous dans L’Amérique, le roman inachevé de Franz Kafka. Leur théâtre « off-off-Broadway » interroge sans cesse les limites de la théâtralité en déplaçant le quotidien sur scène et en le maquillant d’artifices théâtraux. Le résultat, pour le moins ludique et excentrique, souvent critique, allie les contraintes artificielles à l’observation de la banalité. Copper et Liška refusent le théâtre figé. Aussi, ils laissent une grande place à l’aléatoire dans leurs performances, obligeant les interprètes à une entière disponibilité.
Life and Times – Épisode 1, présenté pour la première fois à Vienne en 2009, constitue le point de départ d’une saga qui devrait compter 10 épisodes, tous tirés de l’enregistrement téléphonique dans lequel Kristin Worrall répond à la simple et vaste question de Liška : « Peux-tu nous raconter ta vie? » Au cours des dernières années, la compagnie new-yorkaise a conçu d’autres spectacles à partir d’enregistrements sonores : No Dice (2007), Romeo and Juliet (2008) et Rambo Solo (FTA, 2009).
Section vidéo
une vidéo disponible
Texte adapté d’une conversation téléphonique avec Kristin Worrall
Musique originale Robert M. Johanson Interprétée Par Daniel Gower + Robert M. Johanson + Kristin Worrall
Scénographie Peter Nigrini
Dramaturgie Florian Malzacher
Rédaction Adeline Gendron
Photo Reinhard Werner-Burgtheater
Création au Burgtheater Kasino, Vienne, en septembre 2009
Durée : 3 h 30
Tarif régulier : 35 $
30 ans et - / 65 ans et + : 30 $
Forfaits en vente 15% à 40% de réduction
En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 31 mai
Coproduction Internationales Sommerfestival Hamburg, Kaaitheater Brussel, Théâtre de la Ville (Paris), Internationale Keuze Festival Rotterdamse Schouwburg, Wexner Center for the Arts at the Ohio State University
Avec le soutien de Map Fund et The Rockefeller Foundation
Cinquième Salle
Place des Arts
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par Ariane Cloutier
« We don’t do any play, we don’t perform any play. We play. » Pavol Liska
Sous la supervision attentive de Kelly Copper — cofondatrice, avec Pavol Liska, de Nature Theater of Oklahoma — est mise en place une expérience incroyable, soit la transformation en spectacle divertissant d’un monologue téléphonique de 3h30, dont le point le départ est la question : peux-tu nous raconter ta vie? L’épisode 1 de Life and Time présente la première partie de la vie de la narratrice, de sa naissance jusqu’à l’âge de 8 ans.
La narration est — tenez-vous bien — chantée, tout au long du spectacle, et s’accompagne de quelques mouvements chorégraphiques soulignant par moment les propos énoncés. Le ton est très informel et spontané, et le texte reste fidèle à la transcription conversation originale, jusque dans les nombreuses hésitations, dans les onomatopées, dans le vocabulaire courant spécifique à la narratrice. Ce niveau de langage, avec lequel les acteurs jouent pour articuler leur chant, rend la performance tout simplement hilarante. Au départ à une seule voix, la narratrice initiale se multiplie, d’abord accompagnée en chœur par deux autres filles qui prendront la relève, puis, cassant le rythme au milieu du spectacle, par trois garçons, prouvant l’universalité du propos.
Au bas de la scène, trois musiciens suivent la trame narrative du spectacle, accentuant les moments dramatiques ou joyeux, et remplissant ceux un peu trop communs. Un piano sautillant semblable à celui de Charlie Brown, un xylophone, une mandoline et une flûte nous emportent vers l’univers enfantin évoqué par ce recueil de souvenirs désordonnés. Les ballons, foulards et cerceaux qui agrémentent certaines chorégraphies consolident également le monde ludique de l’enfance. Ces accessoires sont remis directement aux comédiens par Kelly Copper, assise elle aussi au bas de la scène. Elle leur donne le tempo et par moment, leur montre des cartes (brassées avant la pièce) qui leur inspirent les mouvements chorégraphiques.
Malgré toutes les mesures prises afin de rendre divertissante cette suite d’anecdotes décousues, Life and Time demande au spectateur une concentration ardue et prolongée, le confrontant à ses attentes envers le spectacle. Les comédiens, quant à eux, livrent leur performance à en perdre haleine, avec générosité et une grande ouverture. Certaines pauses dans le texte, ou autres moments de réflexion, leur permettent de s’adresser directement au public et d’établir avec lui une belle complicité, lui lançant par exemple : « Oh! My god I can’t believe we are doing this! », ou encore « What time is it? Do you still want me to talk? »
Lorsqu’elle tente de se souvenir d’éléments ou d’exprimer sa pensée, la narratrice s’arrête, revient en arrière, vole vers l’avenir, dans une logique d’associations d’idées libres. Alors qu’elle déterre peu à peu ses lieux de mémoire, nous nous prenons à attendre la suite, et à l’anticiper comme si on la vivait avec elle. En effet, l’histoire racontée est celle de la vie courante, somme toute assez banale, d’une enfant américaine de Providence, en Oklahoma. Tellement banale qu’elle pourrait être la vôtre, ou celle d’un des dix artistes sur scène.
Nature Theater of Oklahoma propose une approche marginale, ludique, anthropologique et extrêmement inclusive du théâtre. On attend impatiemment la suite de l’histoire au FTA l’an prochain. Ces artistes new-yorkais qui redéfinissent les formes de théâtre actuelles sont absolument à surveiller.