Chacun de leur côté, ils secouent l’ordre établi, prennent leur époque à bras-le-corps, bousculent les codes du théâtre et de la danse. Réunis, le brillant auteur Étienne Lepage et le déjanté chorégraphe Frédérick Gravel engendrent un spectacle pop, baveux, diablement sexy. De Nietzsche à Hendrix, entre diatribe mordante et show rock-and-roll, entre harangue électrisante et postures décontractées. Ils assènent une bonne claque à la gueule du conformisme.
Dans une gestuelle en perpétuel contrepoint avec des textes équivoques, quatre interprètes prennent en charge les contradictions d’une société. Le ton désinvolte et effronté de ces empêcheurs de penser en rond est un antidote à la morosité et à l’apathie, ils pratiquent un théâtre de combat, provocateur, téméraire, salutaire. Enchevêtrement des formes, fusion des énergies, Ainsi parlait… offre une expérience de création qui promet de ne pas être tiède. Inclassable.
Frédéric Gravel
Chorégraphe, danseur, musicien, éclairagiste, Frédérick Gravel est actif depuis une dizaine d’années sur la scène montréalaise. Il bouscule les structures de l’art chorégraphique en y intégrant divers éléments liés au rock et à la performance. Prônant la transversalité culturelle et disciplinaire, il enthousiasmait le public du FTA en 2009 avec Gravel Works, spectacle ensuite invité aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis. En 2010, il revient à nouveau au Festival avec Tout se pète la gueule, chérie. Étant toujours là où on ne l’attend pas, il a collaboré notamment avec Pierre Lapointe pour le spectacle Mutantès (2009). Sa plus récente création, Usually, Beauty Fails, a été présentée en novembre 2012 à la Cinquième Salle de la PDA.
Étienne Lepage
En 2009, la pièce Rouge gueule d’Étienne Lepage marquait de manière éclatante l’arrivée au théâtre de ce jeune auteur et traducteur doté d’une langue tranchante, qui donne voix à une génération désemparée et décrit des personnages incertains, perdus, terriblement humains. Polyvalent, il a coécrit Éclats et autres libertés, une pièce pour jeunes qui a remporté le prix Louise-Lahaye en 2010. Sa pièce Histoires pour faire des cauchemars vient également d’être créée par le Théâtre Barakha, à Bruxelles. Brillant dialoguiste, il présente la cruelle fable amoureuse Robin et Marion au Théâtre d’Aujourd’hui en 2012. Il recevait dernièrement le Prix du texte original par les critiques de l’AQCT pour L’enclos de l'éléphant, créé au FTA en 2011.
Section vidéo
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Lumières Frédérick Gravel
Environnement sonore Stéphane Boucher
Costumes Elen Ewing
Direction technique Caroline Nadeau
Production déléguée Daniel Léveillé Danse
Photo Stéphane Najman / Photoman
Rédaction Diane Jean
Création mondiale au Festival TransAmériques, le 5 juin 2013
Résidences de création Maison de la culture Frontenac + Agora de la Danse
Durée : 1h
Tarif régulier : 38 $
30 ans et moins /
65 ans et plus : 33 $
Taxes et frais de services inclus
En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 6 juin
Présentation en collaboration avec Agora de la danse
Coproduction Festival TransAmériques + Automne en Normandie (Rouen)
Agora de la danse
840, rue Cherrier
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par Daphné Bathalon
Cynique, voilà bien le mot pour décrire Ainsi parlait, une collaboration de l’auteur Étienne Lepage et du chorégraphe Frédérik Gravel. Le spectacle nous colle à notre siège, nous sommes ainsi déroutés ou fascinés, tandis que nous essayons de comprendre le sens de ce qu’on nous raconte, de rattacher les textes entre eux, avant de nous laisser plutôt porter d’un texte à l’autre.
Difficile de décrire ce spectacle à qui ne l’a pas vu. Les pensées s’éparpillent au fil de la proposition tandis que les personnages s’interrogent, accusent, questionnent... L’un s’impressionne du nombre d’exemplaires d’objets et d’êtres humains dans le monde (70 milliards de doigts!) et qu’on ait pris le temps de les compter, un autre s’exaspère de la vacuité du salaire et du travail qu’on abat pour se payer les choses nécessaires pour vivre. Un autre encore revendique son statut de trou de cul et invite le public à faire de même... Les monologues des interprètes papillonnent ainsi dans tous les sens, aucun des personnages n’écoutant parler l’autre.
Spectacle polymorphe, à cheval entre théâtre et danse, des appellations auxquelles les créateurs substituent ceux de texte et de mouvements, la production décontenance plus qu’elle ne provoque – contrairement au texte coup de poing Rouge gueule, de Lepage, monté en 2009. Ainsi parlait... est l’étrange résultat de la rencontre entre les corps des interprètes et les mots de Lepage. Il ne s’agit pas ici de choquer, pas plus que de provoquer, mais plutôt de créer des malaises parmi le public tout en l’amenant à accepter le débordement de mots et de mouvements, puisque les personnages de cette pièce n’en finissent plus de déborder.
Et le pari est réussi. On sent le malaise dans les rires dispersés de la salle tandis que se déroule sur scène une agression sexuelle où l’agresseur est femme et la victime est homme. Ou dans ces éclats de rire quand une interprète crache sur tous ces « spectacles de marde » qu’on aimerait bien qualifier de la sorte en toute impunité, sans gêne et sans honte. « Je fais tout ce que je peux pour me dire wow, mais des fois, c’est juste de la marde », s’exclame-t-elle. Et des rires encore pour accompagner les projets meurtriers d’un homme qui se demande combien coûterait l’assassinat de Stephen Harper, mais qui en vient finalement à la conclusion que le gouvernement n’est plus « culbutable », le système politique étant devenu une hydre étatique.
Ironiquement, alors que les créateurs affirment ne pas vouloir faire la morale aux spectateurs ni leur dire quoi penser de l’œuvre, c’est exactement ce que leurs personnages font pendant toute la représentation. Ils viennent ainsi nous dire quels gestes poser pour prendre conscience de notre espace arrière ou nous dire quoi penser du spectacle (On est privilégié d’être ici ce soir, d’avoir fait un effort, d’avoir souffert pour s’élever, d’avoir du temps et de l’argent à dépenser pour être ici...). En même temps, il nous est impossible d’adhérer totalement à leurs discours, car trop radicaux ; impossible d’obéir à ce qu’on nous demande, car nous sommes restreints à notre rôle de spectateurs.
Si l’idée de ne rien vouloir imposer au public, de mettre en scène textes et gestes en laissant le public décider de ce qu’il en retiendra, de ce qu’il voudra en comprendre, est intéressante, elle crée néanmoins une distanciation entre les acteurs et les spectateurs, qui les isolent de part et d’autre. Au final, ni public ni artistes ne prennent position dans cette production. On reste donc dans un confortable milieu où il n’y a plus qu’à écouter. Et c’est dommage qu’avec une telle proposition, une distribution si douée et incarnée, et des textes livrés avec émotion, on en soit réduit à n’être qu’un public attentif.