Tout est blanc. Le tapis de danse, les accessoires, ses vêtements. Dans cet espace sacré en plein cœur du Musée des beaux-arts de Montréal, Marie Chouinard incarne les espoirs que lui confient, presque en secret, les visiteurs. Elle fait du mouvement un langage chamanique. Elle se connecte à la personne venue déposer un vœu à son oreille, laisse une prière s’élever de son corps, l’inscrit dans l’invisible avec l’espoir que le message soit entendu. Intrigué, envoûté, ébloui, on cherchera peut-être à percer le mystère de ces danses éphémères. Complice, on goûtera dans l’instant le bonheur d’une présence absolue.
Revenue à la scène en solo après 20 ans d’absence, la grande chorégraphe québécoise nous fait le cadeau de s’abandonner à l’inspiration du moment pour ces improvisations sur mesure. Virant promptement de la fougue à la contemplation, de la solennité à la légèreté, elle nous offre l’occasion rare d’un contact direct avec elle. Une rencontre intense et mémorable.
Issue d’une famille d’artistes de Québec, Marie Chouinard a mené une carrière solo pendant 12 ans avant de fonder sa compagnie, en 1990. Dansée au son d’une grille de four, Cristallisation, sa première œuvre, la place d’emblée au rang des créateurs d’exception. Charismatique danseuse en quête d’authenticité, elle pousse les explorations sans souci de la réception du public et défraye la chronique en urinant sur scène (Petite danse sans nom, 1980)ou en s’y masturbant (Marie Chien Noir, 1982). Exaltant la poésie crue et lumineuse des instincts, elle crée des danses organiques et d’une sensualité souvent très explicite comme L’après-midi d’un faune (1987). Présentée au Festival de théâtre des Amériques, Les trous du ciel, sa première œuvre de groupe, est accueillie comme une révélation. On y retrouve l’usage du souffle et de la voix ainsi que l’important engagement de la colonne vertébrale, caractéristiques de sa signature. Œuvres marquantes de son répertoire, Le sacre du printemps (1993), Les 24 préludes de Chopin (1999) et bODY_rEMIX/les_vARIATIONS_gOLDBERG (2005) tournent encore aujourd’hui, tout comme ORPHÉE ET EURYDICE (2008, coproduction du FTA) ; tandis que de grandes compagnies de ballet reprennent certaines de ses créations.
Créatrice multidisciplinaire depuis toujours, Marie Chouinard a signé une cinquantaine de chorégraphies, deux films d’art et un recueil de poèmes ; elle a conçu huit installations ou expositions, et s’est livrée à plusieurs performances dont In Museum, en 2012 à Baie Saint-Paul. Trois ans auparavant, elle était revenue à la scène avec le solo gloires du matin :)-(:, livré au petit matin dans des lieux atypiques de Montréal, Venise et Vienne.
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Photo Sylvie-Ann Paré
Rédaction Fabienne Cabado
Création au Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul, Québec, le 31 août 2012
Durée : 3h
Entrée libre
Présentation en collaboration avec Musée des beaux-arts de Montréal
Musée des beaux-arts de Montréal, Carré d'art contemporain
1380, rue Sherbrooke Ouest
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par Olivier Dumas
Une chorégraphe m’avait déjà confié il y a quelques années craindre le syndrome de la danseuse qui tourne autour de son bol d’eau. Elle soulignait le danger pour sa discipline de se complaire dans le superflu et les effets décoratifs sans parvenir à rejoindre ses interlocuteurs. Cette réflexion revient en mémoire après avoir passé près d’une heure en compagnie de la nouvelle proposition de Marie Chouinard, simplement intitulée In Museum, qui en principe dure trois bonnes heures.
Dans le programme préparé par le FTA, on peut lire que la célèbre chorégraphe derrière de belles réussites comme Chorale ou encore un très fort solo masculin intitulé Des feux dans la nuit a conçu sa plus récente offrande pour un lieu à travers lequel le public circule librement. Or, confinée dans une petite salle au sous-sol du Musée des beaux-arts de Montréal, l’expérience se partage avec un nombre restreint de spectateurs qui ne bougent pas autrement que pour l’entrée et la sortie. Samedi matin, une longue file attendait pour partager quelques instants d’intimité avec l’icône de la danse contemporaine québécoise. Le décalage entre l’atmosphère silencieuse et presque rituelle de la représentation et l’agitation frénétique et bruyante qui se tramait à l’extérieur demeure assez saisissant.
Force est d’admettre qu’à la première approche, la présence de l’artiste subjugue. Avec sa silhouette élancée, ses longs cheveux blonds et son visage de poupée de porcelaine, elle occupe l’espace avec élégance et raffinement. Dans la salle d’exposition, se trouve au centre un grand carré blanc où s’exécute une Marie Chouinard à l’énergie éthérée. Tous les accessoires, à l’exception de verre d’eau, sont de cette couleur d’une clarté neutre : les couches du costume, une paire de sandales, un nez de clown qu’elle enfile à l’occasion, un étrange objet qui ressemble à la fois à une bobine de film et à une horloge, une boite de papiers mouchoirs dont elle lance quelques uns durant sa prestation, une forme de ballon et un haut-parleur tous deux recouverts d’un drap. Le décor rappelle également les illustrations de l’excellent disque Les murs blancs du Nord de Catherine Durand sorti en 2012 sans posséder la même charge vulnérable ou la même puissance organique. Il se rapproche davantage de l’atmosphère d’une installation que d’un spectacle de danse. Par ailleurs, l’absence de musique étonne et surprend de la part de celle qui a construit plusieurs de ses réalisations scéniques autour de compositions de Gluck, Debussy, Chopin et Stravinsky.
Quelques personnes ont effectivement livré une confidence, comme un secret dans le creux de l’oreille de la chorégraphe. Celle-ci par ailleurs se prend au jeu, toujours disponible, réceptive et empathique. Elle est prête chaque fois à relever le défi de l’improvisation lancée par des volontaires de différents âges, hommes et femmes.
Pourtant assez rapidement, la volonté de démocratiser et d’humaniser la danse devient redondante et même lassante. Les mouvements et intonations (cris gutturaux) évoluent très peu d’une prestation à l’autre. Ils oscillent entre des gestes évoquant soit une incantation vers un ailleurs qui nous dépasse (comme une salutation au soleil, ou encore le rituel du tai-chi), ou encore en recréant le mouvement des vagues. La danseuse se jette à quelques reprises sur le sol ou encore se recouvre le corps et la tête d’une couverture. Son visage se révèle parfois grave, mais plus souvent amusé comme celui d’une petite fille qui ne se prend pas au sérieux et peut rire d’elle-même. Mais, et c’est là que le spectacle déçois, la performeuse paraît davantage dans sa bulle, dans son monde intérieur, sans pousser sa démarche vers une communication fructueuse entre elle et son auditoire, sans faire passer un frémissement ou une émotion.
En quittant le musée, il demeure permis et légitime de se questionner sur la pertinence d’une proposition comme In Museum, plus près de l’exercice de style que d’une véritable expérience artistique concluante. De Marie Chouinard, on est en droit de s’attendre à plus de ferveur, de curiosité et d’audace.