Au printemps 2012, au plus fort des contestations civiles, la compagnie italienne Motus a électrisé le public du FTA avec Too Late! (antigone) contest #2 et Alexis. Una tragedia greca, du théâtre politique à l’énergie explosive. Fascinée par la vitalité de cette ville où chaque nuit l’on marchait dans les rues pour changer la vie, Motus vient créer à Montréal un théâtre déclencheur d’actions politiques nouvelles. C’est là le pari de cette nouvelle création imaginée à partir de La tempête de Shakespeare et des mouvements sociaux de partout.
« Où est le maître ? », hurlent les passagers en panique. Et si cette tempête était celle que nous traversions en ce moment, alors qu’une économie financière déréglée est en train de tous nous faire sombrer ? Échoués sur une île, entourés de débris de la mondialisation et de matériaux recyclés tout juste inventés par des ingénieurs dissidents, nous voilà invités, acteurs et spectateurs, à construire ensemble concrètement le prototype architectural d’une utopie ouverte.
La présentation au FTA en 2012 de Too Late! (antigone) contest #2 et d’Alexis. Una tragedia greca, alors que chaque nuit les manifestants transformaient les rues de Montréal en chemins vers les utopies, a révélé à quel point la compagnie italienne Motus était non seulement à l’écoute des effervescences du temps présent, mais était aussi un agent actif de cette résistance à la déshumanisation. Fondée en 1991 par Enrico Casagrande et Daniela Nicolò à Rimini, Motus s’est rapidement fait connaître par son regard singulier — agissant — sur le monde d’aujourd’hui, par sa capacité à rassembler en « bandes » artistes et intervenants d’horizons divers, et par la nature protéiforme de ses manifestations artistiques, lesquelles, autour du théâtre, se déploient en vidéos, symposiums, essais architecturaux, installations, performances, ateliers et actions sociales.
Que ce soient les chambres d’hôtel (avec le projet Rooms, dont Twin Rooms a été présenté à Montréal en 2005), l’Anti-theater de Fassbinder, les désarrois de l’adolescence (qui a donné naissance à X(lcs) Racconti crudeli della giovinezza, 2007) ou la figure d’Antigone, Motus s’empare de ces thèmes et motifs pour en faire des champs d’investigation, où des paroles d’auteurs, notamment Pasolini, Genet, Sophocle, Brecht et Shakespeare, servent à interroger de façon verticale les mouvances du présent. Nella tempesta appartient à un cycle initié en 2011 sur la crise actuelle vue à travers la tension entre une dystopie — une utopie négative — et une utopie, soit un rêve de bien commun.
Section vidéo
une vidéo disponible
Dramaturgie Daniela Nicolò
Assistance à la mise en scène Nerina Cocchi
Son et vidéo Andrea Gallo + Alessio Spirli (Aqua Micans Group)
Photo Andrea Gallo
Rédaction Paul Lefebvre
Résidence de création Place des Arts
Création mondiale au Festival TransAmériques, le 24 mai 2013
Durée : 1h30
Tarif régulier : 43 $
30 ans et moins /
65 ans et plus : 38 $
Taxes et frais de services inclus
En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 25 mai
Coproduction Festival TransAmériques + Parc de la Villette (Paris) + Kunstencentrum Vooruit (Gand) + La Comédie de Reims - Scène d’Europe + Théâtre National de Bretagne (Rennes) + La Filature - Scène Nationale (Mulhouse) + Centrale Fies - Drodesera Festival (Dro) + Festival delle Colline Torinesi (Turin) + Associazione Culturale dello Scompiglio (Vorno) + L’Arboreto - Teatro Dimora (Mondaino)
En collaboration avec Teatro Valle Occupato (Rome) + Angelo Mai Occupato (Rome) + Macao (Milan) + S.a.L.E. Docks (Venise)
Cinquième Salle
Place des Arts
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par Daphné Bathalon
Enfin, la voici qui prend forme sur la scène montréalaise, cette Nella Tempesta,la très attendue nouvelle production de la compagnie italienne Motus, qui avait fait sensation lors du FTA édition 2012 avec ses productions Too late et surtout Alexis. Una tragedia greca.
Enrico Casagrande et Daniela Nicolò, le duo de créateurs à la tête de la compagnie Motus, se sont cette fois inspirés de La tempête, de Shakespeare, et de sa relecture par Aimé Césaire, pour poser les jalons de leur réflexion. Et si l’île de la Tempête était le théâtre sur lequel les naufragés de la révolte populaire venaient s’échouer après l’orage? Qu’est-ce qu’on fait une fois qu’on a fait chavirer le navire pour infléchir sa course? Qu’est-ce qu’on fait une fois le tyran chassé de l’île? Est-on vraiment plus libre hors de l’île, hors du théâtre? Que rebâtit-on sur cette île? Quelle utopie peut y naître?
Alors, cette nouvelle production est-elle à la hauteur des grandes attentes placées en elle? Elle a certainement beaucoup de potentiel. On y retrouve les prémices de la réflexion qui portaient les précédents spectacles de Motus, des idées qui muriront au fil des représentations, à n’en pas douter. La pièce ne baigne toutefois pas dans la même urgence ni la même tension qu’Alexis, elle s’éloigne du théâtre documentaire pour aller plutôt du côté du laboratoire de création et de l’étude de texte. Pour le moment, elle multiplie les pistes de réflexion, si bien qu’elle donne parfois l’impression de s’éparpiller. Le spectacle, dense et touffu, mériterait de creuser davantage le texte de Shakespeare et les relations entre les différents personnages, comme les deux codirecteurs de Motus l’ont fait autour du mythe d’Antigone et de Créon avec Too late, et d’Antigone et de Polynice avec Alexis. La pièce cherche encore un équilibre entre les extraits joués et les échanges entre comédiens sur leurs personnages.
Visuellement très intéressant, la pièce propose un voyage aux spectateurs grâce à quelques sources d’éclairage. Qu’elles illuminent la scène et la salle à la manière d’un phare au milieu de l’océan ou qu’elles représentent le regard du maître absent, qu’elles découpent précisément les silhouettes des acteurs ou qu’elle les repoussent dans le noir, qu’elles projettent des ombres immenses ou qu’elles créent des bulles intimistes à l’intérieur desquelles les acteurs se réfugient, ces sources de lumière s’inscrivent parfaitement dans l’esthétique minimaliste du spectacle. La troupe n’utilise rien de plus que l’éclairage, une toile en fond de scène et les couvertures que les spectateurs étaient invités à apporter. Point d’ancrage pour les personnages, ces couvertures donnaient à la scène des allures de camps de réfugiés, mais pouvaient en un instant se transformer en rocher pour Caliban, en cape pour Prospero ou même en bateau ou en vagues. Parmi la distribution, la présence forte et incarnée de la comédienne Silvia Calderoni dynamise encore une fois le plateau, comme elle l’avait fait dans la peau d’Antigone. Elle porte en elle cette tension de la révolte et cette énergie qui siéent parfaitement à Ariel, l’esprit du vent maintenu en chaînes par le magicien Prospero.
Motus cherche à établir un échange entre la scène et la salle, pour en effacer les contours et porter le théâtre au-delà du lieu de la représentation. La compagnie veut essaimer la tempête dans la ville, car « dehors, personne ne sent rien ». Mais les couvertures, qu’on nous prend avec le sourire avant le début du spectacle et en nous demandant des histoires ou souvenirs qui y sont liés, perdent en importance au fil de la représentation, ne servant à la toute fin qu’à recréer le navire à bord duquel les personnages de la Tempête quittent l’île où ils avaient fait naufrage, en nous laissant toutefois derrière. Là où Alexis nous invitait vers l’extérieur grâce à un long fil rouge et à une fin participative, collective, Nella Tempesta semble encore manquer de souffle pour faire lever la tempête.