À Trieste, le temps n’est pas linéaire. Dans une virtuose odyssée verticale, Marie Brassard explore les hasards poétiques et les coïncidences extraordinaires. Du rivage de la mer Adriatique jusqu’au fond des abysses, en passant par le souterrain pays des morts, elle dessine un voyage fabuleux au cœur de l’inexpliqué. Porté par le souffle puissant de la bora, ce vent qui, dit-on, rend fou, ce spectacle croise légendes anciennes et mythologies contemporaines, nouées autour de l’idée de la mort et de ses mystères. Imprégné de mélancolie, traversé par l’imaginaire des écrivains qui ont habité la ville, Trieste est un étonnant poème scénique qui, tel un bathyscaphe posé au plus profond de l’océan, sonde l’intangible.
De retour au FTA où chacun de ses solos a été présenté, Marie Brassard, infatigable découvreuse des possibles de la scène, livre ici une création ondoyante où prend vie un paysage visuel et sonore énigmatique. Captivant.
Depuis la création en 2001 de Jimmy, créature de rêve, un premier spectacle solo où elle s’avançait sur le terrain de la multidisciplinarité, Marie Brassard n’a cessé de sonder les possibles du langage scénique. Amalgame fluctuant de textures sonores, d’images oniriques, d’ombres, de lumières, de paroles en éclats, ce langage s’est inventé et réinventé au fil de la création d’indéterminables et captivants objets théâtraux : La noirceur (FTA, 2003), Peepshow (FTA, 2006), L’invisible (FTA, 2008), Moi qui me parle à moi-même dans le futur (FTA, 2011). Microcosmes voyageurs, tous ces solos ont rayonné autant au Québec qu’à l’étranger, se posant dans plusieurs villes d’Europe et d’Asie, de même qu’en Australie et aux États-Unis.
Collaboratrice de longue date de Robert Lepage, avec qui elle partage une soif pour l’audace et pour la dissolution des frontières artistiques, Marie Brassard a fondé en 2001 la compagnie Infrarouge, une structure-chrysalide protéiforme de laquelle a émergé chacune de ses œuvres, conçues avec la complicité d’artistes d’ici et d’ailleurs. Exploratrice du rêve, la créatrice use des technologies nouvelles pour donner à voir et à ressentir le réel autrement. À travers ses expérimentations singulières, elle met au jour une poésie scénique où s’entretissent des paysages sonores et des images ondoyantes, matérialisant, pour un temps, ce qui d’ordinaire peine à affleurer à la surface du monde — le secret, l’intangible.
Section vidéo
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Scénographie Simon Guilbault
Vidéo et film 16mm Karl Lemieux
Lumières Mikko Hynninen
Photo Minelly Kamemura
Rédaction Catherine Cyr
Résidence de création Experimental Media and Performing Arts Center - EMPAC (Troy)
Création mondiale au Festival TransAmériques, le 25 mai 2013
Durée : 1h10
Tarif régulier : 43 $
30 ans et moins /
65 ans et plus : 38 $
Taxes et frais de services inclus
En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 26 mai
Coproduction Festival TransAmériques + Usine C
Présentation en collaboration avec Usine C
Usine C
1345, avenue Lalonde
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par Olivier Dumas
Depuis la création de sa compagnie Infrarouge au début des années 2000, Marie Brassard est devenue l’une des créatrices québécoises préférées du Festival TransAmériques. Ainsi sollicitées, plusieurs de ces productions hétéroclites et multidisciplinaires, et parfois difficiles à apprécier, ont donc depuis bénéficié de la bénédiction des programmateurs. Pour son tout nouveau spectacle intitulé Trieste, l’une des collaboratrices privilégiées de Robert Lepage livre ici à l’Usine C une proposition qui, sans être mémorable ou transcendante, se révèle somme toute particulièrement intéressante.
Après La noirceur en 2003, Peepshow en 2006, L’invisible en 2008 et Moi qui me parle à moi-même en 2011, sa participation récurrente au FTA démontre qu’elle touche quelques cordes sensibles auprès d’un public adepte des technologies et de recherches formelles dans la structure d’une représentation théâtrale. L’histoire de Trieste se déroule dans la ville du même nom. Nichée dans le golfe de l’Adriatique, la ville italienne voisine de Venise regorge de trouvailles et d’enjeux historiques qui ont fait succomber d’illustres écrivains comme James Joyce, qui écrira les premiers chapitres de son Ulysse, Jules Vernes, qui rédigera Mathias Sandford, jusqu’à Veit Heinichen, qui y campera ses polars. Rainer Maria Rilke, Italo Svevo et Umberto Saba témoigneront également de leurs attachements à cette cité aux charmes mélancoliques, mais qui laissera étrangement Stendhal de glace.
La démarche particulière de Marie Brassard a donné des résultats inégaux parmi ses réalisations précédentes. Si Peepshow se démarquait par son approche audacieuse et éclatée, L’invisible tournait rapidement à vide par ses égarements dans les effets techniques au détriment d’une dramaturgie forte et convaincante. Heureusement, sa vision de Trieste amalgame mieux la forme et le fond, la parole et l’exploration visuelle qui dure à peine une petite heure. Le public se sent davantage interpelé par une interprète qui sait faire des liens entre la petite et la grande histoire, entre des faits connus depuis des siècles et certains de ses récits personnels. Par ailleurs, son timbre avec à la fois des intonations de petite fille curieuse et une certaine gravité sait charmer le public.
Par contre, il ne faut pas oublier que le spectacle est présenté en primeur. On pardonne plus volontiers au premier quart d’heure plus laborieux à trouver son rythme de croisière et de bien agencer la conception sonore avec la narration qui se retrouve noyée par les bruits ambiants. Plus le récit progresse, plus ses composantes deviennent concluantes et plus cohérentes, d’autant que les premières répliques sont prononcées dans un effet de distanciation, alors que Marie Brassard semble loin de l’auditoire malgré la proximité du plateau. Mais l’énumération des nombreuses personnalités littéraires et artistiques au début prend l’allure d’une leçon d’érudition apprise par cœur, comme ces premiers de classe qui, malgré leurs grandes connaissances, manquent de ferveur et de tripes. Lorsque Marie Brassard raconte son expérience de plongée lors d’une journée de congé pendant une tournée à l’étranger, le ton est beaucoup plus prenant, plus naturel et plus exquis.
La musique originale, composée et jouée en direct par Jonathan Parant et Alexandre St-Onge, joue un rôle constant, mais plutôt discret, accompagnant les péripéties de la globetrotteuse et la description de la ville enchanteresse. Les projections vidéo n’accaparent pas trop l’espace et créent plutôt de beaux effets, notamment dans la reproduction des excursions dans la grotte décrite par Dante. Marie Brassard se permet même de chantonner à quelques reprises d’une voix douce rappelant beaucoup celle de la grande Chloé Sainte-Marie. Autre belle surprise dans cette aventure, les couleurs sombres, obscures et noires de la représentation dévoilent un contraste intriguant avec les images véhiculées traditionnellement de Trieste avec son architecture de couleurs claires, son port maritime et sa bora glaciale qui aime bien se déchaîner à l’occasion jusqu’à près de 200 kilomètres à l’heure. Les détracteurs de la femme de théâtre ne pourront pas lui reprocher d’avoir succombé à la tentation de montrer sur scène une vision se rapprochant des cartes postales touristiques.
Encore en rodage à sa première, la production Trieste et son instigatrice ont reçu une ovation spontanée du public, content de ces retrouvailles.