Le jeu est d’une cruelle simplicité: les gagnants d'un côté, les perdants de l'autre. Tom Cruise, le four à micro-ondes, l’Alberta : gagnants ou perdants ? Les opinions sur le monde fusent, brillantes, comiques. Mais rapidement, la joute amicale glisse imperceptiblement vers une profonde enquête existentielle. Qu'est-ce qui fait de nous des vainqueurs ? Jusqu’où peut-on aller trop loin dans la confrontation des valeurs de l’autre ?
Ici, tout est autobiographique, le danger est réel. Vifs, cabotins, parfois de mauvaise foi, James Long et Marcus Youssef semblent de conditions sociales comparables. Mais entre les deux amis de longue date surgissent des conflits, sourdent de profondes tensions. Autour d’une table aux allures de ring de boxe, un combat extrême des idées et des valeurs est engagé. Certaines classes sont plus moyennes que d’autres, certains privilèges ont la vie dure. Dans ce jeu vicieux et provocateur, tous les coups sont joyeusement permis.
Depuis plus de 15 ans, James Long est codirecteur artistique, avec Maiko Bae Yamamoto, du Theatre Replacement de Vancouver. La compagnie explore différentes disciplines artistiques, développe des concepts autour des lieux et des gens qui les habitent. Déjà, Replacement était présent au Festival en 2009 avec Bioboxes, installations interactives donnant la parole à des immigrants, et Weetube, élaboré à partir de vidéos répertoriés sur YouTube. En 2010 également, était présenté The Greatest Cities In The World, spectacle-étude conçu autour des habitants de villes du Tennessee aux noms prestigieux comme Paris ou Rome. Le prochain projet des codirecteurs consiste à créer un spectacle autour de la collaboration entre Kate Bush et David Bowie à la fin des années 70.
Auteur et comédien né à Montréal, Marcus Youssef est codirecteur artistique, avec Adrienne Wong, de Neworld Theatre, compagnie aux formes multiples qui s’intéresse particulièrement aux questions de pouvoir, de culture et d’appartenance. Leurs spectacles ont été présentés lors de festivals en Amérique du Nord, en Europe et en Australie. Il a coécrit Ali and Ali and the Axes of Evil, satire virulente de la guerre contre le terrorisme, a adapté Adrift du prix Nobel égyptien Naguib Mahfouz.Marcus Youssef a également créé avec son fils de dix-sept ans How Has My Love Affected You?, pièce basée sur des journaux intimes de sa mère qui a succombé à la maladie d'Alzheimer.
Winners and Losers, première collaboration entre les deux hommes de théâtre, a été créé en novembre 2012 à Vancouver.
Section vidéo
une vidéo disponible
Lumières Jonathan Ryder
Photo Simon Hayter
Rédaction Diane Jean
Création au Gateway Theatre, Richmond, le 1 décembre 2012
Durée : 1h25
Tarif régulier : 28 $
30 ans et moins /
65 ans et plus : 23 $
Taxes et frais de services inclus
En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 28 mai
Coproduction en collaboration avec Crow’s Theatre (Toronto)
Espace Libre
1945, rue Fullum
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par Pascale St-Onge
Les règles sont simples, presque trop : on discute de tout et de rien et chaque sujet est catégorisé. Gagnant ou perdant? La question semble anodine, sans conséquence, et pourtant. James Long et Marcus Youssef s'affrontent littéralement autour de cette même question jusqu'à mettre en danger leur propre perception d'eux-mêmes et de l'autre qui est assis juste en face.
Le micro-ondes? Pamela Anderson? Stephen Harper? Le débat est pertinent, certes, mais c'est la façon dont on l'aborde qui fait la différence. À force de tout simplifier et de catégoriser de façon si hermétique, les réponses qui en découlent semblent rapidement manquer d'humanité, de « gros bon sens » ou encore carrément de nuance. C'est le jeu auquel les deux créateurs du spectacle acceptent de jouer, très conscient de pouvoir s'y faire prendre. Car, au fond, qu'est-ce qui définit un gagnant et un perdant? Malheureusement, le débat se ramène souvent, presque systématiquement, à la réussite et à l'argent qui peut découler de cette réussite. Réducteur? Tout à fait. Le besoin de tout hiérarchiser fait place aux préjugés ou même au racisme, notre condition sociale et nos origines définissent-elles d'avance si nous serons des perdants? Pouvons-nous nous sortir du milieu social d'où nous provenons? Les conclusions que les deux amis en font sont inquiétantes. Ils se retournent finalement la question : « And me? Winner or loser? ». Le jeu devient infernal et use de méchanceté, abuse des faiblesses de l'autre pour tenter d'être le roi de la montagne. Était-ce inévitable?
Dans une mise en scène qui laisse place à beaucoup d'improvisation et de spontanéité et une scénographie plus que minimaliste, les dés sont lancés. Avec un périmètre rectangulaire dessiné à la craie en tout début de spectacle, le débat, avant même d'avoir commencé, prend déjà des allures de combat. Le public est captivé, observe le débat avec énergie et la balle qui se passe d'un côté à l'autre sans arrêt. Les deux comédiens, tout à fait à l'aise de défendre leurs propos, et ce, même à l'improviste, incluent le public dans la conversation, bien qu'une partie de celui-ci ne semblait pas très ouverte à prendre la direction que le débat prenait, surtout à les voir quitter rapidement la salle. Le jeu est vicieux, dangereux puisque les comédiens jouent avec leur véritable histoire et les idées se confrontent, faisant douter chacun dans la salle.
Grâce au talent indéniable des deux hommes, le spectacle se résulte d'abord en un divertissement très efficace. Ensuite, son intelligence et sa perversité s'imposent rapidement et nous surprennent à secouer notre propre confort dans nos idées. Malgré une finale qui s'étire, il s'agit ici d'un spectacle risqué, qui, oui, va trop loin, mais c'est le jeu que le public accepte de jouer lors de son entrée en salle. Une expérience morale à vivre.