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Festival TransAmériques - Du 22 au 25 mai 2015, 20h
Variations pour une déchéance annoncée
Théâtre
Un spectacle de La Fabrik
D'après La Cerisaie de Anton Tchekhov
Adaptation et mise en scène Angela Konrad
Avec Stéphanie Cardi, Francine Charbonneau, Philippe Cousineau, Marc-André Goulet, Andréane Leclerc, Marie-Laurence Moreau, Gilles Provost et Dominique Quesnel, Dorian Quilicot et Téo le chien 

Pour ce premier spectacle à Montréal, la femme de théâtre d’origine allemande Angela Konrad s’empare de Tchekhov comme d’un scalpel pour mettre à vif les nerfs malades du temps présent. Au premier plan : une admirable troupe d’acteurs dominée par une Dominique Quesnel au sommet de son art, qui crée une inoubliable Lioubov Andreevna peut-être ruinée, mais dont l’insatiable appétit de vivre fait rêver. 

À la trappe, samovars, bouleaux, dentelles ettout l’attirail de la nostalgie du folklore tchékhovien ! La cerisaie va être vendue pour faire place à un lotissement immobilier. Un monde s’écroule. Et le célèbre auteur russe nous livre une tragédie douce-amère sur des gens qui ne savent pas vivre, mais ne veulent pas mourir. Ces brillantes Variations… dépeignent aussi bien l’oisive Russie du début du XXe siècle que notre frénétique monde actuel, un monde en faillite d’où l’on s’évade en dansant sur du Amy Winehouse. Une relecture féroce, sensible et viscéralement contemporaine de ce chef-d’œuvre absolu de la littérature qu’est La cerisaie

Pour un théâtre de la soustraction
Ces Variations pour une déchéance annoncée sont la première production de la compagnie théâtrale LA FABRIK, fondée à Montréal en 2012 par la metteure en scène et dramaturge Angela Konrad. D’origine allemande, Angela Konrad a immigré au Canada après avoir étudié et travaillé pendant une vingtaine d’années en Allemagne et France où elle a codirigé la compagnie In Pulverem Reverteris. Artiste associée au Théâtre des Bernardines à Marseille, elle concentre son travail sur Shakespeare, Brecht et Heiner Müller. Elle approfondit ses recherches théoriques sur la dramaturgie en soutenant une thèse de doctorat sur l’œuvre de Heiner Müller à l’Université de Paris X. À Montréal, on a déjà pu voir d’elle deux créations dérivées de Shakespeare : What Bloody Man Is That d’après Macbeth en 2013 et Audition ou Me, Myself and I, d’après Richard III, en janvier dernier au Théâtre de Quat’Sous. Depuis 2012, Angela Konrad est professeure à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM. Le travail théâtral à LA FABRIK se fonde sur la relecture de textes du répertoire, de textes contemporains et d’écritures non dramatiques à la lumière d’interrogations critiques du monde actuel. Ce travail de recherche et de création interroge les courants de pensée du monde contemporain en remettant en question les modes de fonctionnement de la création artistique. LA FABRIK explore, creuse et ne cesse de déployer le théâtre dans le théâtre comme métaphore privilégiée de l’humain aux prises avec les contradictions de la vie et de l’Histoire.


Section vidéo


Dramaturgie Steve Giasson
Assistance à la mise en scène Adam Faucher
Conception sonore Laurent Maslé
Conception lumière Nancy Bussières avec l'assistance de Cédric Délorme-Bouchard
Photo Marc-André Goulet

Rédaction Paul Lefebvre

Création à Usine C, Montréal, le 6 novembre 2013

Durée : 1h40

Tarif régulier : 39$
30 ans et moins : 33$
65 ans et plus : 36$
Taxes et frais de services inclus

En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 23 mai

FILM
La Cerisaie
Mercredi 20 mai 2015, 19h
Cinémathèque québécoise
335, Boulevard de Maisonneuve Est
France, Peter Brook, 1982, 120 min, V. O. FR.
En 1981, le Britannique Peter Brook met en scène la pièce de Tchekhov La Cerisaie, aux Bouffes du Nord de Paris, récompensée par le Grand Prix du théâtre du Syndicat de la critique. Pour la télévision, il réalise une version filmée de cette création magistrale, aux contrastes oscillant entre réalisme et poésie.

Production avec le soutien de Faculté des Arts de l’UQAM (Aide à la recherche-création PAFARC) + Usine C  en collaboration avec Usine C 


FTAUsine C
1345, avenue Lalonde
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est


Dates antérieures (entre autres)

Du 6 au 16 novembre 2013 - Usine C

 
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 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : Vivien Gaumand

Coïncidence, vague passagère ou amorce d’une tradition récurrente, le répertoire d’Anton Tchekhov inspire et chatouille présentement les créateurs québécois et étrangers. Les démantibulassions ou nouvelles interprétations de son univers se sont multipliées ces derniers mois sur les scènes montréalaises. La Cerisaie connaît ces jours-ci une adaptation brillante, amusante, excessive, en somme un joyau de cruauté sous les ongles de la metteure en scène Angela Konrad et sa compagnie La Fabrik. Présentée dans la petite salle de l’Usine C, la production porte un nom judicieusement sélectionné, soit Variations pour une déchéance annoncée.

Un peu plus tôt cet automne, Martin Faucher s’est éclaté avec Villa Dolorosa, un spectacle qui reprenait le canevas des Trois sœurs par la plume de la dramaturge allemande Rebekka Kricheldorf. Justin Laramée a également porté un regard personnel de la même pièce avec Andreï ou le frère des Trois sœurs. Au Rideau Vert, Alexandre Marine a proposé une vision plutôt fantaisiste et peu mémorable de La Cerisaie. À l’Usine C, Angela Konrad s’approprie ici cette écriture pour en éradiquer toutes les idées préconçues. Elle en garde toutefois la souffrance, souvent dissimulée par un vernis bourgeois et « une petite musique » délicate, qui souvent devient un  ramassis de clichés dans des mains moins dégourdies.

Pour apprécier les enjeux, la recherche formelle et le traitement-choc effectué à l’œuvre tchékhovienne par la metteure en scène, les spectateurs et spectatrices doivent avoir en mémoire quelques repères de La Cerisaie. La compréhension du travail se rattache et se retrouve imbriquée à ce classique créé en 1904 au Théâtre d’art de Moscou. À cet univers souvent circonscrit par son atmosphère feutrée des états d’âme et l’absence de véritable progression dramatique, il est également possible de voir de matière prophétique un signe des bouleversements et révolutions qui ont secoué le dernier siècle. Une transposition contemporaine demeure donc d’une grande pertinence pour témoigner des soubresauts et turpitudes de notre époque angoissante.

Au début de la pièce, une névrosée Lioubov (qui ne possède aucunement la fibre maternelle, contrairement au personnage original) arrive simultanément au théâtre en taxi, suivi par un caméraman dont les images se retrouvent projetées en direct dans la salle. Dans un décor dépouillé à l’exception de quelques didascalies sur une chambre d’enfant qui n’existe pas sur le plateau, quelques notes de piano accentuent la nostalgie d’un monde sur le point de s’éteindre. Angela Konrad prend plaisir à insérer à un moment ou un autre des mises en abîmes assez caricaturales. Par ailleurs, elle se permet une incursion où Lioubov, avec une coupe, des verres en plastique et une bouteille de champagne, s’assoit parmi le public qui est invité à boire avec elle. La trame sonore hétéroclite passe d’un extrait émouvant avec la voix puissante de Maria Callas, de Tosca de Puccini à celle torturée d’Amy Whinehouse (choix prophétique et judicieux pour exprimer la décadence et la dégringolade d’un individu) dont le tube Love Is A Losing Game revient ponctuer régulièrement l’histoire comme l’ombre de la mort qui rôde sans cesse.  

Avec ses cheveux blond platine, ses lunettes fumées et son manteau de fourrure, Dominique Quesnel incarne une Lioubov incandescente, coquine, aguicheuse, capricieuse. Comédienne rare, elle saisit ici avec un sens remarquable les nuances et humeurs d’une femme qui oscille sans cesse entre la drôlerie et le pathétisme. Le personnage ressemble à un croisement de Marilyn Monroe (dont un extrait de ses Fragments est repris dans le programme) et de la foudroyante Martha de Qui a peur de Virginia Woolf? d’Edward Albee. Dans cette proposition éclatée, son magnétisme apporte une cohérence, un souffle et un engouement soutenu pendant les 90 minutes de la représentation. Ses partenaires de jeu sont également très forts, notamment grâce à l’énergie corporelle des jeunes actrices ou encore par la présence ténébreuse de Philippe Cousineau.

Dans son ouvrage Un siècle en pièces, l’ancien critique de théâtre Robert Lévesque rapportait l’extrait d’une lettre de Stanislavski à Tchekhov à propos de La Cerisaie : «Je vous entends dire: “Mais voyons, c’est une farce”. Non, pour l’homme ordinaire c’est une tragédie ». Dans les années 1970, le brillant Giorgio Strehler avait illustré toute l’ironie et la férocité dans une mémorable relecture Cerisaie. En 2013, l’auteur des Trois sœurs et d’Oncle Vania aurait-il apprécié la dissection de son chef d’œuvre par Angela Konrad? Difficile à dire, mais l’auditoire a réservé une chaude ovation à ces Variations pour une déchéance annoncée, incontournable et déroutante par ses rires fulgurants et ses drames ténébreux.

12-11-2013