Avec six actrices d’exception et une danseuse envoûtante, Marie Brassard orchestre une éclatante traversée de l’œuvre de Nelly Arcan. Dans un redéploiement inédit des romans Putain, Folle et Burqa de chair, son chant exacerbe la puissance insondable du féminin. Après le succès de cette production d’exception créée en 2013 au Théâtre ESPACE GO, le FTA soumet son public à un choc dont il se souviendra. Un ébranlement essentiel.
Dans les chambres d’une maison vitrée sont exposées des femmes à l’intellect sublimé, à l’hypersensibilité affichée, à la beauté magnifiée. À l’image d’une écrivaine surdouée qui s’est éteinte trop vite, elles racontent leur indicible tourment d’être femme. Car Nelly Arcan était la femme prisonnière d’une image de perfection. L’écrivaine torturée par son propre sexe, l’intellectuelle freinée par une incessante souffrance. Mais, découvre-t-on dans le spectacle sophistiqué de Marie Brassard, elle était aussi une auteure du cosmos, en quête de lumière et de plus grand que soi.
Nelly Arcan + Marie Brassard (Montréal) - Infrarouge
Habituée du FTA où elle a créé de nombreux spectacles solo, Marie Brassard est une artiste iconoclaste qui invente des mondes technologiques fascinants.
Section vidéo
Collaboration à l’adaptation et dramaturgie Daniel Canty
Décor et accessoires Antonin Sorel
Lumières Mikko Hynninen
Musique Alexander MacSween
Son Frédéric Auger
Costumes Catherine Chagnon
Rédaction Paul Lefebvre
Photo Caroline Laberge
Durée : 1 h 40
4 juin / Rencontre après la représentation de 20 h
Création au Théâtre ESPACE GO, Montréal, le 9 avril 2013
Films
Inspiré par la violence de l’œuvre et du destin de Nelly Arcan, ce portrait filmique décompose les visages d’une femme déchirée entre ses identités irréconciliables d’écrivaine, d’amoureuse, de putain, de star et d’éternelle fillette. Lumineux et douloureux.
Canada, Anne Émond, 2017, 1 h 41, v.o. fr.
Un spectacle de Infrarouge
Coproduction Festival TransAmériques + Théâtre français du Centre national des Arts du Canada (Ottawa) + PARCO (Tokyo)
critique publiée lors de la création en avril 2013
Statique. Fixe. IsoléE… Les mots qui se fraient un chemin à la sortie de ce spectacle reflètent la scénographie ; six femmes sont dans une boite, à la merci de leur mal. Le quatrième mur est palpable, c’est une grande vitre qui isole la voix, comme un cellophane sur une boîte à poupée. L’effet est pénible tout comme le goût amer, ce désespoir qui transcende les mots de Nelly. Ce spectacle offre six femmes bien habillées, peignées, maquillées et perdues, qui tanguent dans des gestes vains ; elles sont seules ensemble.
L’autofiction de Nelly Arcan emprunte le chemin du subjectif pour nous toucher, tous, autour de problèmes universels qu’elle révèle à travers son expérience personnelle. C’est un acte de courage incroyable de publier son mal, en espérant que cela puisse servir à autrui. Nelly Arcan a fait preuve d’une confiance aveugle en brisant les tabous de la maladie mentale et de la prostitution, elle a fait de son expérience personnelle un problème politique1. Or, ce spectacle, s’inspirant de son œuvre, est déprimant.
S’agit-il d’un hommage posthume, d’une critique de la société ou d’un simple copier-coller de stéréotypes? Fragmenté, le récit est audacieux, car la forme s’adapte au genre post-dramatique et le traitement électronique de la voix lui donne une efficacité alarmante, malgré les longueurs. La force de ce message est décuplée à travers la voix de six femmes qui se partagent l’obsession et les problèmes d’une seule. Ainsi, le sens devient problématique, car elles portent toutes la mort comme seule issue à la culpabilité, le dégoût
de leur condition et l’angoisse qui les habite.
La logique de l’histoire est aussi complexe qu’un puzzle à trois morceaux. D’abord, il a fallu plaire à son père et être bonne aux yeux de Dieu. Puis, il a fallu plaire aux hommes et perdre la face aux yeux de Dieu. Et finalement, mourir, se tuer, comme si c’était la seule issue. Il s’agit de trois temps, présentés comme si la cause initiale ne pouvait offrir une autre solution alternative que cette finale. Perpétuer le stéréotype normalise le geste et cette équation est présente sur plusieurs plans tout au long du spectacle.
Par exemple, la beauté des actrices, la mise en scène des standards de ce qui est sexy se situent dans la zone grise du discours féministe, entre marchandisation du corps et liberté du geste. Le suicide ouvre un tout autre monde et ce spectacle aborde ce thème sans préciser si le mal de vivre issue de Putain et Folle révèle les causes de la mort de Nelly dans La fureur de ce que je pense. Est-ce que la douleur est un spectacle, est-ce qu’on peut laisser les spectateurs applaudir comme si c’était normal? Ça ne devrait pas être normal. Est-ce que ce spectacle se devait d’être féministe? Peut-être pas. Les écrits de Nelly apportaient un peu de lumière sur la condition féminine, même s’il explorait ces lieux sombres où l’humiliation et le mépris font partie du quotidien. Ce spectacle n’éclaire rien, il dissèque le mal.
1 «The Personal is Politics », Carol Hanisch, Notes from the Second Year: Women’s Liberation in 1970, Sexual Politics