Dans un acte de résistance incandescent, Eszter Salamon secoue la mémoire collective du siècle dernier. La chorégraphe hongroise a fouillé les trous de mémoire de l’Occident pour en exhumer des dizaines de danses populaires et tribales. Elle les a mises en relation avec les guerres ponctuant l’histoire coloniale de ces 100 dernières années sur quatre continents. Un anti-monument expressionniste et fantomatique.
Physiques à l’extrême, unies d’un même élan martial, les danses rassemblées préparent au combat, célèbrent la victoire, transcendent la défaite. Afrique, Moyen-Orient, Iran, Bali ou la Caraïbe : toutes proviennent de régions marquées par les conflits. Les danseurs incorporent ces pas, rythmes, rictus et transes trouvés sur la toile. Leurs corps résonnent des souffles, percussions corporelles, cris et chants dessinant une forme d’archéologie vivante. Sans oublier les silences. Sortis du placard de l’Histoire, des spectres ondoyants balaient le champ de ruines de l’Occident. Dans un grand raffinement esthétique, ces résurgences inattendues sont offertes à la conscience commune. Courageusement anti-impérial et troublant.
Eszter Salamon (Berlin + Paris)
Performeuse, danseuse et chorégraphe, Eszter Salamon convie dans sa chorégraphie vidéo, son, texte, musique et voix autant que geste et mouvement.
Section vidéo
Lumières Sylvie Garot
Son Wilfrid Haberey
Costumes Vava Dudu
Conseils théoriques et historiques Djordje Tomić
Production et organisation Sandra Orain + Alexandra Wellensiek
Rédaction Jessie Mill
Photo Ursula Kaufmann
Durée : 1 h 15
30 mai / Rencontre après la représentation
Création au Internationales Sommerfestival, Hambourg, le 8 août 2014
Classe de maître
Dans MONUMENT 0, Eszter Salamon reconsidère l’Histoire du XXe siècle, offrant une perspective alternative sur le monde par l’expression de formes et autres événements refoulés du passé. Son atelier s’inscrira dans ce sillage critique pour interroger, à partir de l’apprentissage d’une danse des Mapuches du Chili, le combat et le devenir de ces tribus indigènes dont les terres furent confisquées.
Un spectacle de Eszter Salamon
Coproduction HAU Hebbel am Ufer (Berlin) + Internationales Sommerfestival Kampnagel (Hambourg) + Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris) + PACT Zollverein – Départs (Essen) + Tanzquartier Wien + Centre Chorégraphique National de Montpellier Languedoc-Roussillon – Programme Résidences
Avec le soutien de Centre Chorégraphie National Ballet de Lorraine – Accueil Studio 2013/2014 (Nancy) + Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Ile de France – Ministère de la Culture et de la Communication (Paris) + NATIONALES PERFORMANCE NETZ (NPN) – Fonds de coproduction subventionné par Commission gouvernementale fédérale pour la culture et les médias selon une décision du Bundestag allemand (Berlin)
Usine C
1345, avenue Lalonde
Billetterie : En ligne : fta.ca
Par téléphone
514 844 3822 / 1 866 984 3822
En personne :
La Vitrine, billetterie officielle du FTA* -
2, rue Sainte-Catherine Est (métro Saint-Laurent)
*En personne, les billets pour les spectacles présentés à la Place des Arts ne sont pas en vente à La Vitrine, mais exclusivement à la PDA.
Un chant dans le noir, presque un ululement, et des formes que l’on discerne à peine dans l’ombre. Des corps qui apparaissent enfin, l’un après l’autre, recouverts d’une combinaison noire où se dessine, en blanc, l’esquisse de leur squelette, comme tracé à la chaux. Pantins funèbres aux masques mortuaires impressionnants, ces corps s’emparent de l’espace, d’abord en solo, puis en duo et en trio, avant de former un ensemble entrelacé, pour nous parler de guerres, de conflits, de deuils, mais aussi de victoires sur la mort.
Dans Monument 0 : hanté par la guerre (1913-2013), la chorégraphe hongroise Eszter Salamon explore avec sensibilité la façon dont la guerre s’inscrit en nous et se transcrit dans nos corps et nos voix. Elle nous propose une plongée déroutante dans l’histoire souvent sanglante de la domination occidentale sur le monde en traçant un parallèle entre la danse et comment nos rapports de force s’y transposent.
La danse paraît de fait tout indiquée pour parler de la guerre, car elle s’exprime par le corps, celui que les guerres meurtrissent, martyrisent ou font carrément disparaître. Dans toutes les sociétés et jusqu’à une époque pas si lointaine, la danse servait d’ailleurs à se souvenir pour mieux dire et raconter. La commémoration passe aujourd’hui par les mots, les dates, l’histoire officiellement écrite, mais c’est encore le corps qui a la mémoire physique des événements.
Pour cette première production d’un cycle sur les angles morts de l’histoire, la chorégraphe s’est inspirée de danses tribales et folkloriques de nombreux pays. Les danseurs se sont approprié ces mouvements, les ont adaptés, transformés, intégrés pour mieux les faire dialoguer, d’abord dans la pénombre puis en pleine lumière. Ils enchaînent les mouvements vifs et exigeants jusqu’à épuisement complet des corps. Tout leur corps s’engage dans la danse, jusqu’aux yeux qui roulent, aux langues qui se tirent, aux visages, qui grimacent, s’allongent et se crispent. On touche au viscéral.
La blancheur de la peinture étalée sur les corps et les visages des danseurs s’imprime sur la rétine du spectateur chaque fois que, dans un flash, la scène retombe dans le noir. Les sons aussi restent en nous à leur manière. Rauques, gutturaux ou agressants, ils s’échappent des corps, tantôt grognements, souffles ou halètements, tantôt chants de guerre ou chants funèbres, ou résonnent quand bâtons et pieds frappent le sol. Le travail chorégraphique et corporel brut des danseurs, couplé aux maquillages et costumes donne à l’ensemble une teinte macabre qui sied parfaitement à l’ensemble. Si la succession de tableaux finit par lasser légèrement, les derniers tableaux marquent l’esprit. Dans un moment très touchant, les danseurs disposent dans l’espace des dizaines de petits panneaux affichant des dates de conflits (de 1913 à 2013), sans indication de lieu ou de cause (après tout, quelle importance?). Le silence est alors pesant sur une scène transformée en cimetière.
En scène finale, la vitalité des corps en mouvement s’évanouit, ne reste plus dans le théâtre que des corps éclopés, saccagés par des conflits qui semblent ne jamais connaître de fin, mais, lueur d’espoir, des corps qui tiennent encore debout, malgré tout.