Une maison vide, usée par le temps, ouvre ses portes. Chambres, papiers peints, planchers, meubles et objets choisis : tout un inventaire retraçant la mémoire d’un espace privé est exploré par une poignée de spectateurs privilégiés. Franchir les limites d’un territoire intime, pénétrer dans un lieu chargé de souvenirs qui a vu vivre et grandir une chorégraphe et danseuse d’exception.
Au milieu des années 1970, Jocelyne Montpetit quitte la maison de son enfance au cœur du ghetto McGill, témoin de l’histoire d’un quartier autrefois marginal et contestataire. Certains tenants de la contre-culture montréalaise, dissidents comme artistes, l’ont fréquenté ; Armand Vaillancourt ou Leonard Cohen s’y sont attardés, bluesmen et hippies américains y ont séjourné. Ces murs ont abrité la fillette solitaire, l’adolescente rebelle, la jeune fille rangée qui rêvait de poésie et de voyages. Elle y revient pour une visite chorégraphique d’une absolue nécessité intérieure. Retour de l’enfant prodigue, devenue une formidable artiste.
Jocelyne Montpetit (Montréal) - Jocelyne Montpetit Danse
La chorégraphe et danseuse Jocelyne Montpetit captive avec ses créations rigoureuses, poétiques, minimalistes et profondément personnelles.
Section vidéo
Scénographie Shin Koseki
Design sonore Nancy Tobin
Rédaction Diane Jean
Photo Andrea Lopez
Durée : 55 minutes
Création au Festival TransAmériques, Montréal, le 27 mai 2017
Un spectacle de Jocelyne Montpetit Danse
Coproduction Festival TransAmériques
Maison privée dans le Ghetto McGill
adresse privée - vous sera donnée par le FTA à l'achat des billets
Billetterie : En ligne : fta.ca
Par téléphone
514 844 3822 / 1 866 984 3822
En personne :
La Vitrine, billetterie officielle du FTA* -
2, rue Sainte-Catherine Est (métro Saint-Laurent)
*En personne, les billets pour les spectacles présentés à la Place des Arts ne sont pas en vente à La Vitrine, mais exclusivement à la PDA.
Parmi les chorégraphes québécois et québécoises qui ont imposé leur signature au fil des décennies, Jocelyne Montpetit occupe une place privilégiée. Dans sa plus récente création, Runaway girl, l’artiste s’investit dans une aventure à la fois intrigante et insaisissable.
Au Théâtre de Quat’sous en janvier 2014, Montpetit avait proposé une production assez intéressante avec le solo Unknow Body qui conjuguait un désir d’introspection de son corps encore inconnu par certains aspects et une quête de sa propre origine. Le thème de la nécessaire filiation revient ici dans Runaway girl. La performance se déroule dans la maison familiale que la danseuse a quittée (et qu’elle n’a plus jamais habité par la suite) au début de la vingtaine pour étudier le mouvement en Europe et au Japon. Lors du décès de son père, le lieu devait d’être départi de ses nombreux objets chargés des souvenirs. Pendant environ quarante-cinq minutes, l’œuvre tente de sonder les angoisses ou les joies qui émanent de cette rencontre avec un passé moins enfoui ou refoulé que nous pourrions le croire à première vue.
En plus de la dimension intimiste de la démarche, un pan d’histoire du quartier défile sous nos yeux. Dans les années 1960 et 1970, le ghetto McGill a constitué un haut lieu de la contreculture, notamment pour les hippies et les marginaux. Des artistes allumés y ont puisé leur inspiration, dont Armand Vaillancourt et Leonard Cohen qui y a écrit ses premiers textes (et qui y a fort probablement rencontré la danseuse Suzanne Verdal, muse de son plus célèbre hymne).
L’expérience comporte également sa part de mystère, car l’adresse de l’endroit de la représentation demeure inconnue pour les spectatrices et spectateurs jusqu’à la dernière minute, et le reste pour ceux et celles qui ne seront pas présents à l’une ou l’autre des dix prestations. Cette dimension secrète de l’acte créateur, presque clandestin, a été explorée auparavant entre autres avec ferveur par Pol Pelletier lors de certains événements.
Les spectacles hors des murs des salles donnent parfois des résultats éclatés et touchants (comme la plus récente pièce de la compagnie Singulier Pluriel, La Mondiola, écrite et dirigée par Julie Vincent). Mais certaines aventures antérieures ont paru davantage relever de l’exercice de style prétentieux, dont In Museum de la Compagnie Marie Chouinard, lors de la cuvée de 2013 du FTA. Runaway girl s’insère sans le chercher nécessairement dans le même esprit que cette dernière. Elle s’amorce d’abord par une visite de la maison de deux étages. Dans la cuisine, une radio d’un temps ancien fait entendre un commentaire de René Lévesque (encore d’une brûlante pertinence) qui dénonce la marchandisation de l’information. À l’étage, nous entendons la voix enfumée de Cohen sortant d’un 33 tours. L’aspect de la découverte, comme dans un musée, demeure la partie la plus intéressante par ses évocations d’une époque révolue, ses audaces et son sens de la folie. Cette initiation constitue une sorte d’opposition avec la suite du programme qui se décline dans une atmosphère plus figée et beaucoup plus froide.
Quand Jocelyne Montpetit émerge du silence un quart d’heure après notre entrée, elle laisse voir son bras droit qui longe la porte coulissante de la chambre située à l’avant. Sa silhouette mince est revêtue d’une longue robe blanche. Chacun des gestes semble habité par une profonde mélancolie, tant les battements des paupières que les déplacements sur la pointe des orteils. Après avoir cajolé la commode, le dessus du foyer et joué avec une lampe qu’elle dépose ensuite sous sa tenue (créant un bel effet de lumière), la danseuse se dirige vers le salon désert. Elle se dissimule successivement derrière les rideaux blancs d’une fenêtre, devant un miroir décroché du mur, et même dans un coin de la pièce sous un bout de la tapisserie défraîchie à moitié décollée.
Pourtant, il manque à cette production le sentiment d’une communication entre l’artiste et l’auditoire à dimension confidentielle. Se dégage souvent le sentiment que Montpetit vit profondément ses retrouvailles et confrontations avec son passé sans un élan vers l’autre, recroquevillée sur elle-même, avec comme seul enrobage sonore une musique minimaliste.
À la toute fin de Runaway girl, la chorégraphe enfile un manteau noir et nous quitte par la porte principale, laissant les reliques du passé encombrant pour le présent. Le moment est saisissant de vérité et d’éclat.