Fukushima, 2011 : un séisme d’une rare amplitude provoque l’explosion d’une centrale nucléaire. Terreur, confusion. Figure de proue du nouveau théâtre japonais qui a fait son entrée au FTA en 2011, Toshiki Okada contemple à hauteur d’homme les effets intimes de la catastrophe. Cristallisant sa douleur, il tisse un fragile théâtre de l’intériorité. D’une infinie mélancolie.
Nous invitant d’emblée à fermer les yeux, Okada superpose comme dans un rêve différentes temporalités, où morts et vivants dialoguent, tragédie intime et désastre national s’enlacent. Se dessine l’étrange huis clos amoureux d’un homme hanté par deux femmes : l’une devenue fantôme, l’autre incarnant un futur possible. Les personnages s’agitent discrètement ; portrait d’une jeunesse japonaise bouleversée. Leurs soubresauts et palpitations sont magnifiés par un paysage sonore et visuel tout en délicatesse. Le poignant trio de comédiens soulève l’espoir ténu d’un avenir moins sombre. Demain est un autre jour.
Toshiki Okada (Tokyo) - chelfitsch
Reconnu à travers le monde comme une figure incontournable du nouveau théâtre japonais, invité dans les festivals internationaux et encensé par la critique, Toshiki Okada signe des œuvres à la poésie singulière, où il s’empare du langage tronqué et saccadé de la rue et s’attarde à décrire la jeunesse désillusionnée de son pays.
Section vidéo
Son et scénographie Tsuyoshi Hisakado
Direction sonore Norimasa Ushikawa
Direction lumières Tomomi Ohira
Costumes Kyoko Fujitani
Production associée precog
Rédaction Diane Jean
Photo Misako Shimizu
Durée : 1 h 15
30 mai / Rencontre après la représentation
Création au Kyoto Experiment, le 17 mars 2016
Classe de maître
Toshiki Okada puise à la gestuelle inconsciente des corps quotidiens ; il crée un langage physique unique, dont la singularité et la force fascinent autant le monde du théâtre que celui de la danse. Il partagera sa conception du jeu, en particulier la relation entre le geste et la parole, à travers un atelier pratique à même de susciter de nouvelles méthodes d’écriture scénique.
En collaboration avec Union des artistes + Conseil Québécois du théâtre
Un spectacle de chelfitsch
Coproduction Kyoto Experiment – ROHM Theatre Kyoto + Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles) + Festival d’Automne (Paris) + Kunstlerhaus Mousonturm (Frankfort) + FFT Düsseldorf + La Bâtie – Festival de Genève + HAU Hebbel am Ufer (Berlin) + SPRING Performing Arts Festival (Utrecht)
En collaboration avec Nishi-Sugamo Arts Factory (Tokyo) + Suitengu Pit (Tokyo)
Résidence de creation Kyoto Art Center Artist in Studio Program
Un festival est l’occasion idéale de découvrir ce qui se fait ailleurs, ce qui ne cadrerait pas nécessairement dans une programmation régulière, d’explorer les styles, de jouer avec la forme, bref, c’est le moment de quitter sa zone de confort. En cela, la production de la compagnie japonaise Chelfitsch trouve une place tout indiquée dans la programmation du FTA.
Dans une pièce anonyme, dans un lieu jamais précisé, un homme vit avec le souvenir de sa femme, décédée quelques jours après le tremblement de terre de 2011 (celui-là même à l’origine du tsunami et de la catastrophe nucléaire qui ont suivi). Il attend l’arrivée de sa future petite amie. Tandis que celle-ci, prise dans le trafic, s’inquiète de son retard, le fantôme de la femme tente de raviver chez son mari le souvenir de ce jour terrible, mais rempli d’espoir.
Time’s Journey Through a Room possède une respiration singulière, très différente de celle de la majorité des productions québécoises. Le spectacle se déploie avec lenteur et dans un silence feutré, à peine marqué, à l’occasion, par les mots des trois personnages ou les bruits simples et discrets du quotidien. Le spectacle de Toshiki Okada, qui en signe texte et mise en scène, se dévoile tout en retenue, sans jamais se révéler complètement. Il en résulte un spectacle étrangement sensible et touchant, où les silences en disent aussi long que les paroles.
« Il y a toujours besoin de s’adapter », nous confient les personnages de Time’s Journey Through a Room. « Tant qu’on est vivant, on est obligé de changer. » C’est le message d’espoir porté avec une grande justesse et un jeu d’une redoutable efficacité par les trois interprètes. Sur la scène dépouillée, leurs corps fragiles se posent bien plus qu’ils ne se déplacent dans l’espace. Leurs mouvements, tout autant que les mots tracent le portrait de ces trois jeunes Japonais aux repères fuyants et en quête d’un nouvel équilibre dans un monde encore marqué par la catastrophe. À la manière du haïku, le spectacle évoque bien plus qu’il ne dit, et toujours par petites touches, dans un rythme très précis et épuré que viennent compléter tantôt le souffle léger faisant valser un rideau, tantôt une sonnerie lointaine qui résonne sans trouver de réponse, tantôt encore la pulsation régulière d’une ampoule qui s’allume et s’éteint.
Dans un monde aussi bruyant et agité que le nôtre, Time’s Journey Through a Room dégage une force tranquille qui nous invite avec bienveillance à la contemplation, l’espace d’un moment. Une expérience très lente, presque hypnotique, pendant laquelle chaque seconde semble s’égrener avec une extrême lenteur, mais qui trouve en nous ce point d’équilibre, cette certitude fragile que tout ira bien. On en sort serein.