Des danseurs fiers, fragiles et lumineux. Un chorégraphe en pleine maîtrise de son langage et de son art signe un spectacle où la tristesse perd sa gravité.
Sur une scène dépouillée, les danseurs s’élèvent, fiers, fragiles et lumineux comme le marbre. Les figures se succèdent, les corps nus se replient sur eux-mêmes, s’élancent les uns vers les autres. Par-delà les étreintes persistent la solitude des êtres et leur rêverie nimbée de tristesse.
En contrepoint aux lignes invisibles qu’il trace dans l’espace, Daniel Léveillé évoque ces moments en creux où le temps semble suspendu et où le spleen menace. Il en retient une douceur jusqu’alors inusitée dans son esthétique rigoureuse, minimaliste et exigeante. Quatuor à géométrie variable, cette nouvelle pièce fait parfaitement écho à celles qui l’ont précédée, donnant à voir l’œuvre d’un chorégraphe en pleine maîtrise de son langage et des danseurs au sommet de leur art. Bon génie de la mélancolie, le son voilé d’une musique d’un autre siècle accompagne les interprètes dans un spectacle où la tristesse perd sa gravité.
Chorégraphie Daniel Léveillé
Interprétation Mathieu Campeau, Dany Desjardins, Ellen Furey, Esther Gaudette, Justin Gionet, Simon Renaud
Crédits supplémentaires et autres informations
Musique John Dowland, Marin Marais, Luca Marenzio, Claudio Monteverdi, Josquin des Prés, Giovanni Salvatore, Giovanni Maria Trabaci
Lumières Marc Parent
Assistance à la chorégraphie Sophie Corriveau
Direction des répétitions Sophie Corriveau, Frédéric Boivin
Participation au développement de l’écriture chorégraphique Emmanuel Proulx
Rédaction Mylène Joly
Traduction Neil Kroetsch
Photo Denis Farley
Durée 1h
Rencontre après la représentation du 31 mai
Création au Festival TransAmériques, Montréal, le 30 mai 2018
Un spectacle de Daniel Léveillé Danse
Coproduction Festival TransAmériques
Avec le soutien de Theater im Pumpenhaus (Münster), Atelier de Paris – Carolyn Carlson Résidence de création Maison de la culture Notre-Dame-de-Grâce
À la mémoire de Martine Époque
Récipiendaire du Grand prix de la danse en décembre 2017, Daniel Léveillé figure parmi les monuments de la danse québécoise. Il poursuit son exploration chorégraphique amorcée avec Solitude Solo (2013) et Solitude duo (2015) en créant Quatuor Tristesse, présenté en primeur au FTA. Ceux qui connaissent le travail de Léveillé y retrouveront la même précision dans l’exécution des mouvements, la même esthétique léchée ainsi que la même volonté de pousser le corps dans ses derniers retranchements.
Six danseurs – quatre hommes et deux femmes – se succèdent dans de courts tableaux qui exploitent non pas la profonde tristesse, mais la nostalgie quotidienne. Le chorégraphe continue de travailler avec de la musique classique, mais accorde cette fois une place plus marquée au silence. Durant ces passages sonores « vides », les airs de Monteverdi, de Dowland et de Marenzio font place aux bruits ambiants : le choc des corps, le contact des pieds sur le sol, la respiration des danseurs, le crissement de leur peau qui adhère à la scène.
L’absence de décor – l’habituel carré blanc au sol qui délimite l’espace de jeu –, accentue l’étude à laquelle Léveillé convie le public. Revenant à la nudité des interprètes, qu’il avait délaissée depuis quelques spectacles, le chorégraphe célèbre le corps humain athlétique avec ses muscles et ses poils. Il faut dire que les physiques des danseurs se ressemblent et cadrent parfaitement avec les standards actuels de norme et de beauté. Par ailleurs, les corps féminins et masculins sont traités de manière similaire, dans une oscillation entre portés, sauts et chute au sol. Si l’on aurait souhaité retrouver une plus grande variété de corps sur scène, on ne peut que constater que cette indifférenciation des interprètes met en relief le travail minutieux du chorégraphe, pour qui chaque mouvement et chaque silence est savamment réfléchi.
Quatuor Tristesse présente une forme cyclique minimaliste qui décortique et répète les mêmes séquences, avec d’infimes variations qui dynamisent la chorégraphie. Se dégage des interprètes une impression de force due au contrôle qu’ils exercent sur leur corps principalement dans des positions qui les placent en déséquilibre. Les corps des danseurs sont désexualisés pour devenir une matière à façonner avec laquelle Léveillé crée des images fortes qui nécessitent une réception plus sensitive qu’intellectuelle.
Or, s’il est agréable de se retrouver en terrain connu avec Quatuor Tristesse, quelques innovations chorégraphiques auraient pu créer une déstabilisation salutaire du public. Peut-être que la forme du quatuor ne permet pas une exploration formelle aussi pertinente que ce qu’avaient donné les explorations autour du solo et du duo.