À la cour de Castille, Don Diègue et le comte de Gormas ont décidé d'unir leurs enfants respectifs, Rodrigue et Chimène. Mais le code d'honneur impitoyable qui règne à cette époque précipitera leur destinée. Le comte, jaloux de voir le vieux Don Diègue dans les bonnes grâces du Roi, se fâche et le gratifie d'un... soufflet! Cette insulte suprême bouscule les événements et Rodrigue devra riposter à cet affront. Vengeance, Amour, Honneur. Les passions sont secouées, opposées aux lois du devoir et aux tendresses du sang. Partagé entre sa volonté de venger son père et son amour pour Chimène, Rodrigue devra choisir l’honneur ou l’amour.
Le rythme et la musique des vers de Corneille donnent au Cid une grandeur et une puissance rarement égalées. Écrite dans une langue riche, sonore et étonnamment moderne, Le Cid a su garder une incroyable jeunesse dont l’écho résonne toujours près de quatre cents ans après sa création. Cette tragicomédie, créée en 1637, sera dirigée par l’homme de théâtre Gervais Gaudreault. Metteur en scène et cofondateur du théâtre Le Carrousel, il enseigne, depuis plusieurs années, les techniques vocales dans diverses écoles de théâtre. Entouré de douze comédiens, il nous transportera au cœur de ce chef-d’œuvre du XVIIe siècle qui bouleversa le paysage dramatique de l’époque.
Texte
Pierre CorneilleMise en scène
Gervais GaudreaultAvec
Yves Amyot, Serge Bonin, Éva Daigle, Hélène Florent, Denise Gagnon, Jacques Leblanc, Roland Lepage, Jean-Nicolas Marquis, Jean-Sébastien Ouellette, Michel Thériault, Nicola-Frank Vachon, Denise VervilleConception
Michel Gauthier
Catherine Higgins
Dominique Gagnon
Stéphane CaronDu 14 septembre au 9 octobre 2004
par Magali Paquin
Il y a de ça quelques semaines, la Une du journal Voir-Québec montrait Hélène Florent, la belle Chimène, debout devant un tableau d’ardoise où se trouvait la semonce « je ne dormirai plus au théâtre » écrite à la craie à répétition. Les grands classiques, surtout ceux étudiés à contre-coeur dans les cours de littérature, sont effectivement souvent perçus comme des somnifères d’une grande efficacité. C’est au contraire une pièce rythmée et d’une surprenante intensité que nous offre Gervais Gaudreault en mettant en scène « Le Cid » de Pierre Corneille. Une excellente réalisation qui marque le lancement de la première saison de Gill Champagne comme directeur artistique du Théâtre du Trident.
Tragicomédie ayant traversé le temps depuis le XVIIe siècle, « Le Cid » est le récit terrible d’un amour déchiré par l’honneur, dans un monde où l’estime d’autrui tient de la vertu et de la capacité à s’acquitter de ses devoirs. Rodrigue (Jean-Sébastien Ouellette) et Chimène (Hélène Florent) sont promis l’un à l’autre, mais leur destin idyllique bascule le jour où le père de celle-ci fait outrage au père de celui-là. « Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie ! », s’écrie Don Diègue (Roland Lepage), le père de Rodrigue, en maudissant ses vieilles articulations de ne pouvoir lui permettre de régler lui-même son différend. Pour conserver sa fierté, il envoie son fils réclamer vengeance au père de Chimène. Déchiré entre son amour pour sa douce et l’honneur de sa famille, Rodrigue choisira ce dernier à contre-coeur, s’aliénant de ce fait son amante qui se verra obligée de réclamer justice auprès du roi Don Fernand (Jacques Leblanc) tout en demeurant éperdue de passion pour l’assassin de son père. Pris au cœur d’un véritable dilemme cornélien, les personnages se triturent à grands coups d’alexandrins exprimant douleur, tendresse et violentes exaltations.
S’extirpant de la récitation monocorde, Gervais Gaudreault amène les acteurs à marquer les vers de Corneille d’un rythme et d’une émotion qui permettent de capter l’attention malgré la lourdeur du texte. Une économie de déplacements donne toute intensité aux éclats de passion et aux scènes plus houleuses, conférant à toute impulsion sa gravité. Certains comédiens le rendent particulièrement bien, notamment Roland Lepage dans le rôle du vieux Don Diègue, dont la prestation est particulièrement marquante, ainsi qu’Hélène Florent en ardente Chimène. Jacques Leblanc est excellent dans le rôle du roi Don Fernand, compréhensif mais plutôt ennuyé que ses meilleurs sujets s’entretuent pour laver leur honneur. À d’autres moments, le résultat est moins probant ou inégal. Éva Daigle dans le rôle de l’Infante, la fille du roi, semble trop coincée dans sa robe pour pouvoir vraiment paraître authentique dans ses déchirements passionnels, bien que sa scène de désespoir et de folie soit très émouvante. En ce soir de première, le stress était également palpable chez certains comédiens ; si un texte en vers est, paraît-il, du bonbon à apprendre, les bafouillages n’en sont par contre que plus importants tant ils grincent à l’oreille.
La pièce nécessitant dix-sept changements de décor dans huit lieux différents, le scénographe Michel Gauthier a opté pour la simplicité sans pour autant y sacrifier la grandeur. Ainsi, d’imposantes structures mobiles, qui de bronze rouillé, qui d’acier oxydé, font office de murs royaux comme de jardins extérieurs. Déplacées par les acteurs eux-mêmes, le résultat est saisissant : leur mouvement s’insère parfaitement dans les déplacements scéniques, évoque les lieux et leur noblesse tout en y ajoutant une touche de modernité. Cette sobriété du décor, en plus d’aérer l’espace, laisse toute place aux comédiens et à leurs somptueux costumes créés par Catherine Higgins. Faits de tissus riches et chatoyants, aux coutures parfois très complexes, ceux-ci rappellent les habits des Samouraïs japonais pour qui l’honneur était fondement de tout. Étonnamment combiné à une touche moderne dans la lignée du retour des eighties, le mélange des genres est réussi : jamais on n’aurait cru que la coupe Longueuil et le hakama pouvait aussi bien seoir à des seigneurs du XVIIe siècle. Les éclairages de Dominique Gagnon, sombres et sévères, parfois enflammés comme le sang qui bouille ou qui coule, viennent quant à eux ajouter une intensité dramatique à l’ensemble. Lorsqu’on y conjugue la musique tragiquement belle et rythmée de Stéphane Caron, le ton est donné.
On peut appréhender le théâtre classique ou ne pas être emballé par celui-ci, il n’en demeure pas moins que certaines œuvres ne peuvent être ignorées. « Le Cid » de Corneille est de celles-là. Puisqu’il faut l’ajouter sur la liste des incontournables, mieux vaut noter cette production, question d’être agréablement surpris, voire même impressionné.